COVID et devenir endémique: une réflexion.

Jean Barbeau, microbiologiste, Responsable de la prévention et du contrôle des infections, FMD, Université de Montréal.

L’endémicité est un concept difficile à définir, comme le démontre une série de publications. Elle pourrait être définie comme un état d’équilibre dans lequel une infection persiste dans le monde, dans certaines pays ou certaines régions.  Une infection endémique est assez typiquement caractérisée par des cycles sporadiques d’épidémies localisées et de retranchements. C’est le cas de la rougeole qui est endémique. Il y a eu une absence de cas pendant des années dans certains pays, mais la rougeole est réapparue de façon intermittente suite à une baisse du niveau vaccinal, et lors d’éclosions très localisées. Éclosions-retranchement.

En janvier 2021 près de 90% des experts jugeaient que la COVID deviendrait probablement endémique; je suis un de ceux-là. Je ne pense pas que ce % a changé beaucoup aujourd’hui.

À partir de quand est-ce que la COVID deviendra endémique, si elle le devient? Si tout le monde a son opinion plus ou moins assurée, personne ne peut prétendre le savoir. Peut-être dans 2 ans, peut-être dans 10 ans.

Contrairement à ce qui est parfois véhiculé, endémicité et immunité collective ne sont pas des équivalences. Il peut y avoir un lien, mais un virus peut être endémique sans qu’une immunité collective ait été atteinte. Le VIH est considéré comme endémique (et il est toujours techniquement pandémique) : nous vivons avec ce virus depuis les années 80.  Aucune immunité collective n’a été atteinte et elle n’est pas visée non plus.  À partir de quand  le VIH est-il devenu « endémique »?  Qui ou quel organisme l’a décidé?  Avons-nous délibérément pris la décision de pousser l’endémicité du SIDA?

L’endémicité ne découle pas nécessairement d’un relâchement des mesures préventives. C’est terriblement plus compliqué que ça.

Partir de la prémisse que nous (la science, le politique) poussons vers l’endémicité de la COVID est de mal articuler le débat. On ne décide pas vraiment de pousser la société vers l’endémicité d’une infection.  Personne n’a vraiment décidé de rendre la tuberculose endémique.

Par contre, nous poussons vers une protection des populations et des systèmes sociétaux. Il y aura nécessairement un impact sur le devenir de la COVID à long terme. Le niveau d’immunité d’une population et le maintien ou non de cette immunité à long terme auront leur mot à dire sur l’atteinte de l’endémicité. Les mesures sanitaires aussi ont un retentissement, quoique que leur influence à long terme (des années) est plus difficile à évaluer.  Maintenues à long terme, les mesures sanitaires (masque, distanciation, quarantaine) peuvent ralentir l’atteinte de l’équilibre endémique comme certains modèles le démontrent.  Ce ralentissement est nécessaire: comment pourrait-il en être autrement? Laissez cavaler sans contrainte SARS-CoV-2 pour atteindre l’immunité collective est intenable dans une société où nous pouvons et avons le devoir de protéger nos populations.

L’endémicité arrive (ou non) plus ou moins lentement, et rarement de façon pleinement prévisible.  Plusieurs facteurs sont imbriqués dans l’atteinte d’un stade endémique, et il est présomptueux de croire que nous avons vraiment un contrôle sur l’évolution vers cet état. La sévérité de la maladie, le type de microorganisme, sa capacité à muter (variants), sa voie de transmission, l’immunité naturelle ou vaccinale et sa durée, sont quelques-uns de ces facteurs. Si nous avons un contrôle (limité) sur certains facteurs, d’autres nous échappent.  Les fluctuations sur le nombre et l’ampleur des vagues nous le démontrent.  Un pays cité en exemple sur sa gestion de la première vague peut se retrouver en queue de peloton dans les vagues suivantes. L’inverse est aussi vrai. On ne peut, malgré ce qu’en pensent plusieurs, toujours mettre le doigt sur la cause précise de ces fluctuations. L’épidémiologie de la COVID est un méandre et un enchevêtrement de variables qui deviennent de plus en plus complexes.

On peut vouloir et théoriquement viser le zéro COVID dans un pays ou une région, mais si d’autres régions ne le peuvent pas (pour un grand nombre de raisons), le virus se dirigera inévitablement vers l’endémicité. Et il sera, tôt ou tard, réintroduit dans les régions temporairement dépourvues de cas. Le déséquilibre dans la couverture vaccinale planétaire rend l’endémicité très probable.

Il faut éviter les amalgames qui disent que si on finit par « vivre avec » la COVID c’est qu’on (restera à définir qui est ce « on ») l’aura sciemment décidé en laissant tomber les mesures préventives. L’exemple du SIDA ou de la tuberculose démontre que la prémisse est fausse. L’endémicité, le vivre avec, ne sont pas forcément basés sur une décision ou une abdication. Encore une fois, cette façon de voir les choses est très réductrice.

Mais l’endémicité, par contre, pousse inévitablement vers des décisions et des choix : que sommes-nous prêts à tolérer comme risque et comme mesures à long terme. À quel niveau et pendant combien de temps ces mesures ou ces risques seront-ils jugés acceptables? L’endémicité vient inévitablement avec un coût qu’il faudra évaluer et accepter (ou non) tôt ou tard.

Et si un certain niveau de mesures sanitaires (auxquelles je crois) devait durer aussi longtemps que l’endémicité, il faudra composer avec un certain inconnu ou avec les modélisations (toujours imparfaites parce qu’on ne connaitra jamais toutes les variables et encore moins le futur d’une pandémie).  Quel sera l’effet de la perte ou de l’atténuation collatérale de l’immunité naturelle face aux virus que nous garderons à l’ancre?  Pendant combien de temps, combien de générations cet effet sera-t-il soutenable?  Je crois que personne ne le sait, que c’est complexe et qu’il faut continuer d’y penser.

Personnellement, je ne pense pas que l’endémicité est obligatoirement une vision pessimiste. Nous avons cette vision parce que nous sommes plongés dans une pandémie depuis un temps que nous croyons outrageusement long et avec des drames passés, présents et à venir encore. Notre vision est fortement teintée par le niveau de lassitude et d’anxiété qui ne semble pas vouloir prendre fin.  Mais cette vision est limitée à notre histoire récente et à notre qualité de vie ici et maintenant. Un virus n’a que faire de notre perception du temps.

La mémoire immunitaire et ce que j’appellerais l’écosystème immunitaire global (infection naturelle et vaccination) changent inévitablement l’environnement dans lequel le virus navigue.  Si nous avons une compréhension  de cet écosystème, cette compréhension est à court terme.  Le reste est une affaire de modélisations, et de « prédictions ». Les autres coronavirus communs (du rhume) ont acquis un statut endémique, mais il est à peu près impossible de connaitre les détails de leur entrée dans l’histoire de l’humanité et des coûts des premières années passées dans la population humaine dans un trop lointain passé.

Certains modèles proposent que la transition de la COVID pandémique au statut endémique passera par un déplacement de la distribution de la primo-infection de la population adulte vers les groupes plus jeunes (1). Il faudra par contre tenir compte des séquelles à long terme de la COVID-longue.

Nous ne connaissons toujours que partiellement le présent, nous ne connaissons que des fragments du passé qui s’éloigne et nous ne pouvons que supposer de quoi l’avenir sera fait. Apprendre à vivre avec un virus endémique est en grande partie basée sur la façon dont le risque est perçu (et géré) par les individus et les gouvernements (3).

Mais la pandémie aura une fin, que SARS-CoV-2 deviennent endémique ou non.

Références:

1- Jennie S Lavine, Ottar N Bjornstad, Rustom Antia. Immunological characteristics govern the transition of COVID-19 to endemicity. Science. 2021; 371:741-745.

2- Veldhoen, M., Simas, JP. Endemic SARS-CoV-2 will maintain post-pandemic immunity. Nature Reviews. 2021. 21: 131-132

3- Brenza, A. What is an endemic virus? WHO warns COVID-19 « may never go away ». https://www.health.com/condition/infectious-diseases/coronavirus/what-is-an-endemic-virus

Charge virale et dose infectieuse : variants et anticorps: deuxième volet

Jean Barbeau, microbiologiste, responsable de la prévention du contrôle des infections, Université de Montréal

La lecture critique d’un article spécialisé peut demander plusieurs heures. La tâche s’est complexifiée dans les derniers mois de la pandémie avec l’interconnexion des paramètres. Connaître les vaccins ne suffit plus. Il faut maintenant tenir compte du nombre de doses, de temps entre les doses, du type de vaccin. Il faut savoir si les données sont des mesures en laboratoire ou sur le terrain, des variations entre les pays, des variants, fractionner les cas entre asymptomatiques ou sévères. Il faut connaître le type d’étude modélisation, régression linéaire, prospective etc. Les analyses statistiques sont-elles adéquates? Etc. Ça fait 30 ans que je suis en recherche sur l’immunologie et le contrôles des infections. J’analyse UN article présentement. J’y ai passé 3 heures aujourd’hui et ce n’est pas terminé.

Lors du premier volet nous avons regardé l’impact de la charge virale sur la transmission de la COVID (ou de toute autre infections virale respiratoire).  Nous allons maintenant naviguer sur le terrain des vaccins pour tenter de comprendre pourquoi le nombre de doses est important lorsqu’on a affaire au variant Delta

Que font les anticorps au virus?

Les anticorps que vous produisez avec le vaccin ne « tuent » pas le virus. La fonction première de ces anticorps est de recouvrir la clé qui va déverrouiller le récepteur ACE2 de vos cellules pour faire entrer le virus.  Si le virus ne peut entrer dans vos cellules il n’y aura pas d’infection. Je pourrais lancer des millions de SARS-CoV-2 dans votre nez, si la clé des virus ne marche plus vous serez protégé.  La clé en question c’est la protéine S.  Les vaccins vous présente la clé : vous allez donc produire ce qu’il faut pour qu’elle n’entre plus dans la serrure ACE2 de vos cellules.

Chaque SRAS-CoV-2 a plusieurs dizaines (probablement entre 30 et 40) de clé S, toutes identiques. Pour rendre le virus inopérant, il faut autant que possible inactiver toutes les clés.  Il faudra donc avoir assez d’anticorps pour recouvrir une quarantaine de clé sur chaque virus.  Plus vous aurez de virus (charge virale, dose infectieuse) plus vous aurez besoin d’anticorps.  Idéalement donc, vous voulez recouvrir toutes les clés, mais les vaccins peuvent protéger même s’il reste quelques clés encore actives.  C’est une question qui fait intervenir les probabilités.  Moins le virus aura de clés actives, plus il devra tâtonner pour l’apparier avec la serrure (ACE2). Les probabilités qu’il entre dans une cellule diminuent.  DONC, pour contourner cette baisse de probabilité, il faut que la charge virale augmente.

Les études évaluent à environ 3 X 1012 (mille milliards) anticorps capables d’inactiver les clés S dans chaque millilitre de sang.  C’est énorme!  Mais c’est dans le sang.  Le virus, lui, est sur les muqueuses nasopharyngées ou pulmonaires. La concentration des anticorps y est moins grande.  Une grande quantité des anticorps produits ne pourront donc servir à un moment donné (on peut estimer à 5% la disponibilité des anticorps neutralisants).

Mais d’autres études disent que une molécule d’anticorps (IgG) par 2 ou 4 clés S est suffisant pour inactiver l’entrée d’un virion dans une cellule.

En gros, nous produisons un excès d’anticorps pour tenir en compte la charge virale et le fait que les virus sont très majoritairement sur les muqueuses et non dans le sang.  Par exemple pendant une infection, il y aurait entre 1000 et 100,000 anticorps de disponibles pour chaque clé S d’une charge de 1,000,000 de virus.

Les choses se compliquent. Mais je résume le tout. La force de fixation d’un anticorps à la clé S détermine son efficacité à inactiver le virus.  C’est ce qu’on appelle l’affinité de l’anticorps. La formule mathématique est élégante, mais je vous en fait grâce.

Pourquoi le variant Delta a tant besoin de deux doses pour être inactivé?

Réponse en deux points (entre autres)

  1. Parce que la charge virale du Delta est beaucoup plus grande que pour les autres variants;
  2. Parce que les anticorps produits par les vaccins ont moins d’appétit (d’affinité) pour le variant Delta.

Premier point.

À concentration d’anticorps égale, plus vous augmentez la charge virale, moins il y aura d’anticorps de disponibles pour désactiver les clés qui sont maintenant peut-être 1000 fois plus nombreuses. Toute est dans toute. C’est passablement mathématique et statistique.  Il en restera encore beaucoup, probablement en excès, mais vous venez de voir fondre un peu l’efficacité du vaccin.  Tel que mesuré en laboratoire et sur le terrain.

Deuxième point.

Les variants sont des variants parce qu’ils ont une clé un peu modifiée pour ouvrir la serrure ACE2.  Le vaccin vous a présenté la clé originelle qui elle n’est pas modifiée: votre système immunitaire réagit à la clé originelle.  Les anticorps que vous produisez épouse très bien cette clé (forte affinité) mais face à la clé du variant Delta, l’ajustement est couci couça (l’affinité est plus faible).  Encore une fois, pour contourner la perte d’affinité (d’efficacité) il faudra compenser en augmentant le nombre d’anticorps.  C’est là qu’intervient la deuxième dose.

La deuxième dose fait deux choses très sexy pour tenir compte des variants plus transmissibles comme le Delta.

  1. Elle amplifie (boost) la concentration d’anticorps;
  2. Elle permet d’augmenter l’affinité des anticorps

Nous l’avons vu, pour tenir compte d’un plus grand nombre de clés, il faut augmenter la quantité d’anticorps. Et J’ai un faible pour le deuxième point qu’on appelle la maturation d’affinité.  Elle est d’une grande élégance : votre système immunitaire va rendre les anticorps plus précis face à la protéine S (la clé).  L’affinité clé-serrure va augmenter en conséquence.  Cette belle étape se déroule à votre insu de la première à la deuxième dose.

Prenons l’analogie d’une armée d’archers face à une cible. Si vos archers ont une vision de 20/20 et sont très précis, ils vont atteindre les cibles avec régularité disons 90 fois sur 100 (c’est l’efficacité). C’est le cas de vos anticorps contre la souche originelle.

Mais si vos archers sont tous un peu myopes ils vont peut-être atteindre les cibles 40 fois sur 100. Si vous voulez compenser pour vos archers myopes vous allez soit augmenter le nombre d’archers soit augmenter la fréquence des tirs. Statistiquement, même un archer aveugle touchera la cible une fois de temps en temps. C’est le cas de vos anticorps contre le variant Delta qui présente deux embûches: beaucoup plus de virus et des anticorps moins précis.

Est-ce que des vaccins moins « précis » peuvent avoir une bonne efficacité?

Mine de rien (ou presque), vous avez en main les éléments qui expliquent aussi (en partie) pourquoi des personnes vaccinées peuvent se retrouver avec une infection: c’est peu fréquent et la plupart du temps asymptomatique.

Ici encore nous faisons intervenir la charge virale et les probabilités. En principe, plus la charge virale est élevée plus les risques de sévérité de la COVID augmentent (en principe). Or, les anticorps réduisent la charge virale. Même des anticorps avec une affinité moins grande contribuent à réduire la charge virale. Les archers visent moins bien mais ils font quand même tomber un grand nombre de cibles. La charge virale est réduite, mais il en reste. S’il en reste trop (en plus de tous les autres facteurs de risques) la personne vaccinée peu devenir asymptomatique, s’il en reste encore trop la maladie peut être sévère.

Ce que l’on voit chez les personnes vaccinées deux fois, c’est une réduction notable de la probabilité à propager l’infection, une très bonne protection contre la maladie symptomatique et une excellente protection contre les formes graves. Par exemple (chiffres fictifs), si ça prend entre 5000 et 10,000 virus pour avoir une forme sévère, entre 1000 et 4000 pour des symptômes et moins que 500 pour une infection sans symptômes et sans propagation. Si vos archers myopes font tomber 60% des cibles la réduction vous assurera peut-être de passer à côté de la COVID.

En bref, allez chercher votre deuxième dose.

Charge virale et dose infectieuse : variants, masques et transmission. Premier volet.

Jean Barbeau, microbiologiste, responsable de prévention et du contrôle des infections, Université de Montréal.

Nous avons vu et nous verrons encore passer beaucoup de chiffres, graphiques, tableaux et, surtout d’opinions, sur la COVID.  La pandémie n’est pas terminée.  Je l’ai déjà dit et je le répète : la quantité d’études scientifiques publiées par semaine dépasse très largement ce que les experts peuvent lire et analyser. Ce qui se publie sur la pandémie touche l’épidémiologie, la science des aérosols, le contrôle des infections, la virologie, la biologie moléculaire, l’immunologie et les vaccins, les mathématiques du risque etc. Si un expert peut prétendre à en connaître un bout sur tous ces domaines pointus, il ou elle ne peut s’autoproclamer expert en tout. De là l’importance des discussions dans la communauté des divers experts.

Si on ne peut connaître tout, on peut du moins essayer de mieux comprendre les concepts. Savoir et retenir des chiffres est à la portée d’à peu près tout le monde, comprendre les concepts, c’est une autre paire de manches. Et comprendre (ce qui va vous rester) demande moins de notions que savoir.

On peut savoir que le variant Delta est beaucoup plus transmissible que la souche de SRAS-CoV-2 originelle, on peut savoir que deux doses d’un vaccin valent mieux qu’une pour le variant Delta, on peut savoir que les masques sont efficaces, on peut connaître par coeur des études, des données. Mais de comprendre POURQUOI offre un sacré avantage pour ne pas avoir à tout retenir par cœur (brillant mais moins utile) et être capable d’avoir un esprit critique.

A- Atteindre la dose infectieuse. Le diable est dans les détails numéro 1.

La notion de dose infectieuse est importante et elle est souvent oubliée.

Combien de virus sont nécessaires pour infecter une personne? Déjà la chose est loin d’être simple parce qu’un foisonnement de variables interconnectées intervient :

  1. Quelle est la vulnérabilité de la personne (vaccinée ou non, niveau d’immunocompétence, âge, expériences immunitaires passées, comorbidités etc);
  2. Voie d’entrée du virus (le nez, les voies respiratoires plus profondes, les muqueuses oculaires etc);
  3. Vecteur de transport du virus (taille des aérosols ou gouttelettes, auto-inoculation par les mains par contacts avec des surfaces etc);
  4. Virulence du virus (facilité à s’attacher aux cellules, capacité à proliférer, capacité à stimuler une réponse immunitaire innée etc).
  5. Fitness du virus (vigoureux, affaiblit, cultivable ou détecté par PCR etc)

Vous avez remarquez que j’ai mis « etcetera » partout et que j’ai pris la peine de spécifier « variables interconnectées ».

Quelle est la dose infectieuse pour SRAS-CoV-2? Certainement plus que 1 et peut-être moins que 700 suivant certaines études et basé sur ce que l’on sait de d’autres virus.  En bref vous êtes dans un pièce (ventilée ou non) et vous inhalez (par le nez) une paire de coronavirus, il ne se passera probablement pas grand-chose. Pourquoi?

  1. Il faut que les virus trouvent leur cible (récepteurs ACE2 de nos cellules);
  2. Il ne faut pas que les défenses naturelles des muqueuses les zappent avant qu’ils trouvent leur cible (mucus, cils cellulaires, substances anti-microbiennes);

Les statistiques et mathématiques entrent en jeu. Les probabilités que les deux coronavirus dans votre nez trouvent leur cible n’est pas de 100% : elle est sans doute très inférieure, mais elle n’est pas de 0% non plus.  Donc, pour qu’un SRAS-CoV-2 trouve une cible ça en prend des dizaines peut-être des centaines à chercher le saint-Graal.  Une analogie (imparfaite) : la recherche frénétique des spermatozoïdes pour un ovule. Plusieurs spermatozoïdes se perdent en chemin ou sont de pauvre nageurs. Relâchez-les un par un et je peux vous garantir qu’il n’y aurait pas près de 8 milliards d’humains sur terre.  Les virus sont aussi soumis aux aléas des probabilités.

B- Atteindre la dose infectieuse dépend de la quantité de virus dans le vecteur qui dépend à son tour de la quantité de virus dans l’environnement de ce vecteur.  Le diable est dans les détails numéro 2.

Gardez ceci en tête: un virus ne prolifère pas sur les surfaces ou dans l’air. Ils ne peuvent proliférer que dans un organisme vivant. S’il reste sur les surfaces ou dans l’air les virus vont s’inactiver avec le temps.

Cas de figure 1. Les tomates dans un supermarché.

Vous êtes à l’épicerie et vous l’ignorez, mais quelqu’un a éternué (posons qu’il n’a pas de masque) sur un étalage de tomates.

Vous arrivez 10 minutes plus tard et vous tâtez les tomates pour en choisir deux. Quels sont les risques que vous soyez infecté? Aucune idée. Mais les risques sont faibles.

Évidemment, il faut que :

  1. L’éternueur soit infecté (ce qui dépend de l’épidémiologie locale et temporelle);
  2. L’éternuement libère du virus en quantité suffisante;
  3. Vous tâtiez les tomates malchanceuses;
  4. Un doigt (le vôtre probablement) qui a tâté lesdites tomates se retrouve dans votre nez (auto-inoculation)
  5. Que cette inoculation transporte plusieurs virus

La quantité de virus sur les gouttelettes éjectées d’un éternuement n’a probablement pas une distribution homogènes. Le virus est transporté sur des particules (mucus, cellules etc.). Certaines particules (par exemple une cellule éjectée) peuvent contenir plusieurs virus alors que d’autres, moins. Une autre question de probabilité intervient.

Cas de figure 2. Petite réunion dans une pièce (mal ventilée)

Vous êtes un petit groupe de dix personnes dans une salle de 100 mètre-carré. Vous respectez la distanciation. Vous parlez, riez (certains plus fort que d’autres) et un des convives décide de pousser la chansonnette.

Quelles sont les risques que vous soyez infecté? Je ne peux pas vous balancer de chiffres.

Mais par contre il faut que :

  1. Au moins un des convives soit infecté;
  2. Il libère des particules infectieuses (certaines retombent d’autres restent en l’air plus ou moins longtemps : taille des particules, gouttelettes et aérosols);
  3. Vous inhaliez ou respiriez les particules en suspension;
  4. Les particules en suspension portent suffisamment de virus;
  5. Le virus soit en forme (fitness)

Encore une fois le problème est soumis aux statistiques et probabilités. Les questions de distanciation et de temps passé en présence d’une personne potentiellement infectée tiennent compte des probabilités; c’est en partie le terrain des épidémiologistes et des statisticiens.  Par exemple, une distanciation de deux mètres réduit statistiquement les risques que vous entriez en contact avec la dose infectieuse du virus. Passer 2 minutes dans une salle avec une personne infectée est statistiquement moins risqué que de s’éterniser pendant 15 ou 30 minutes.  Une personne qui parle fort ou qui chante libère aussi statistiquement plus de virus qu’une personne qui parle bas ou qui ne fait que respirer. C’est une question d’augmentation graduelle de la quantité de virus dans l’air et d’augmentation concomitante de la statistique du risque.

Beaucoup de gens n’aime pas la notion de calcul de risque. Or, qu’on aime ou non, à peu près tout dans la gestion de cette pandémie tient compte des statistiques du risque. Certains voudrait un risque zéro sans réaliser que c’est aussi un calcul. Les calculs de risque sont une importante partie du Principe de précaution et le Principe de précaution NE PEUT ÊTRE ABSOLU.

Les notions de calcul de risque ont probablement été collectivement ce qui a le moins bien été expliqué dans cette pandémie.

Qu’est-ce que les variants, dont le Delta, vient faire dans toute cette histoire?

Dans tout ce que je vous ai résumé plus haut vous avez retenu que le risque est une probabilité reliée à plusieurs variables dont la quantité/concentration du virus dans votre environnement.

C’est là que le variant Delta intervient. Comment le risque d’être infecté peut-il augmenter? Bien sûr en étant plus vulnérable, non vacciné (2X), en étant avec des gens infectieux dans une pièce mal ventilée pendant un bout de temps. Etcetera. Ces facteurs sont, dans une bonne mesure, contrôlables.

Mais à mesure égale, si un variant est présent en plus forte concentration ou quantité dans les sécrétions d’une personne infectée il y en aura plus sur les tomates et plus dans l’air. Les probabilités augmentent d’atteindre une dose infectieuse. Or certaines études rapportent que les concentrations du virus Delta pourraient être jusqu’à 1000 fois plus grandes que ce qui était le cas avec la souche originelle. J’attendrais d’autres études pour le confirmer, mais ce n’est pas hors du domaine du possible. Le variant Delta prolifère plus vite. Est-ce que la dose infectieuse changera? Pas nécessairement. Ça ne veut pas dire non plus qu’il est plus virulent: plus transmissible n’est pas synonyme de plus virulent.

Mais attention! ça ne veut pas dire que le risque augmente automatiquement de 1000 fois avec le Delta. Par exemple, le nombre de reproduction n’est pas passé de 3 à 3000 avec le Delta; ça ne veut pas dire non plus que vous êtes cuit après une seconde dans la même pièce qu’une personne infectée. D’autres variables interviennent.

Vous avez en main le premier volet pour vous faire une tête sur la complexité du problème.

Mon deuxième volet se concentrera sur les vaccins et pourquoi deux doses sont nécessaires pour tenir en échec le variant Delta.