Les vaccins des muqueuses: quelques notions

Jean Barbeau, microbiologiste, Responsable de la prévention et du Contrôle des infections, FMD, Université de Montréal.

Nous connaissons très bien les vaccins donnés par une injection dans le muscle de l’épaule. Ce type de vaccins nous a permis, dès la fin 2020, d’assurer une excellente protection contre SRAS-CoV-2.

Pour comprendre un peu mieux l’immunisation (vaccination) des muqueuses je vous donne quelques notions. Je vous mets toutefois en garde: tout est outrageusement simplifié.

Le site du New York Times permet des suivre l’évolution des vaccins dans leurs différentes phases de développement. Une dizaine de vaccins destinés à la stimulation des muqueuses s’y retrouvent.

Les anticorps (immunoglobulines= Ig) viennent en 5 « saveurs » (appelés isotypes) dans le corps: ce sont les IgM, IgG, IgA, IgE, IgD. Les trois premiers anticorps nous intéressent principalement dans le cas de la COVID-19:

IgM: Ce sont les premiers anticorps qui apparaissent on les retrouvent dans le sang, les tissus et les muqueuses (SIgM).  En guise d’exemple, lors de votre première dose du vaccin (Moderna, Pfizer ou AstraZeneca), si on vous avait fait un test sanguin, c’est probablement l’IgM qui aurait été majoritaire dans les premiers jours ou les premières semaines;

IgG: Ils se retrouvent dans le sang, les organes et les tissus. Ce sont les anticorps principaux stimulés par la vaccination intramusculaire (entre autres). Quelques semaines après votre première dose de vaccin contre la COVID et après la 2ème, 3ème ou 4ème dose, c’est l’IgG qui remporte la palme;

IgA: Ce sont les principaux anticorps présents dans les sécrétions des muqueuses: salive, larme et autres fluides baignant toutes les muqueuses du corps incluant celles du nez. En outre, cet anticorps se retrouve aussi dans le lait maternel, permettant à la mère de pourvoir le nourrisson d’une défense qu’elle a fabriqué. Comme nos muqueuses sont, en temps normal, continuellement bombardés par notre microbiome, le système immunitaire des muqueuses se retient de se lancer dans de grandes manœuvres inflammatoires: l’IgA va nous aider dans cette noble tâche. La stratégie passe par d’autres mécanismes que ceux prisés par les autres voies d’introduction des antigènes (vaccination intramusculaire, intradermique, sous-cutané etc.).

Microbiote et probiotiques : impact en santé humaine
Les IgA sécrétoires constituent un écran contre la colonisation excessive des muqueuses du corps. Ces IgA peuvent être stimulés par la présence naturelle des microorganismes (virus, bactéries etc.) ou par une immunisation locale (intra-nasale ou orale principalement.
[Source: https://cdnsciencepub.com/doi/10.1139/W10-052

Que ce soit suite à une infections ou une vaccination (immunisation), les principes sont les mêmes: Un vaccin intramusculaire va vous faire produire principalement de l’IgM (au début) et de l’IgG qui vont circuler dans le sang et dans vos tissus (poumons et autres). Ces anticorps ont des fonctions biologiques puissantes en plus du blocage des antigènes pour éliminer les pathogènes (virus, bactéries et autres). C’est en autres grâce à cette activité (et la présence des lymphocytes T cytotoxiques) que les vaccins actuels protègent très bien contre les complications graves de la COVID qui affectent les poumons et d’autres tissus.

Or, les pathogènes respiratoires entrent principalement au niveau des muqueuses respiratoires supérieures (nez, bouche, nasopharynx) et inférieures (poumons). La dissémination (menant à la contagion) de ces pathogènes passe aussi par ces muqueuses. Dans le cas de la COVID, les muqueuses intestinales sont aussi à surveiller: les problèmes gastrointestinaux sont documentés dans la COVID.

L’idée derrière les vaccins des muqueuses est de fermer la porte d’entrée aux virus et les empêcher de s’accumuler sur les muqueuses (réduction locale de la charge virale). Il faut donc compter principalement sur l’IgA (il n’y a pas beaucoup d’IgG dans les sécrétions des muqueuses). Le côté sexy de l’immunité des muqueuses est celui-ci: toutes les muqueuses sont interconnectées. Vous en stimulez une avec un antigène, les autres muqueuses vont le savoir aussi. Une illustration?: un vaccin contre la carie pourrait se donner par… le nez.

Mais attardons-nous à SRAS-CoV-2: il entre par le nez en bonne partie (mais pas exclusivement). Si on veut stimuler la production d’IgA contre le SRAS-CoV-2 (ou anti-S, la protéine des spicules), on ne passera pas par une aiguille dans le deltoïde (ce n’est pas l’IgG qu’on veut). On prendra le contenu du vaccin (avec une autre recette plus stimulante) et on vous demandera de l’inhaler (ou de l’avaler: rappelez-vous de l’interconnexion des muqueuses).

Pas d’aiguille.

Une des grandes fonctions de l’IgA est d’empêcher (ou réduire) les pathogènes de « coller » aux muqueuses. Comment?: en les agglutinant ensemble dans un réseau IgA-pathogènes, les pathogènes vont s’exclure des muqueuses: c’est l’exclusion immune. En prime l’IgA va aussi bloquer la protéine S et l’empêcher de déverrouiller vos cellules au niveau des muqueuses. 

Transport de l'IgA par le pIgR vers la lumière des muqueuses. Le récepteur des Ig polymériques (pIgR) s'associe à l'IgAd au pôle basal des cellules épithéliales muqueuses, et la transporte via le compartiment endosomal au pôle apical des cellules, où sa translocation puis son clivage libèrent l'IgA sécré-toire (IgAs) dans la lumière des muqueuses.
L’IgA est produite à l’intérieur des muqueuses par des plasmocytes suite à la vaccination (ou une infection). Ces anticorps spécialisés sont ensuite conduits dans les sécrétions des différentes muqueuses où ils pourront participer à exclure les pathogènes de cet environnement.
[Source: https://www.researchgate.net/figure/Transport-de-lIgA-par-le-pIgR-vers-la-lumiere-des-muqueuses-Le-recepteur-des-Ig_fig1_348477839%5D

Les chercheurs ont de bons espoirs (on verra si ça se concrétise) que les vaccins des muqueuses vont être plus efficaces pour bloquer la transmission de SRAS-CoV-2 que l’IgG. Par contre, l’IgA sera moins protecteur pour les tissus, parce qu’il y en aura peu dans le sang. Ainsi, il est envisageable qu’un vaccin mucosal soit jumelé à une vaccination intramusculaire (ceux qui existent déjà). Les modalités ne sont pas encore définies.  Il y a une dizaine de candidats de vaccins anti-COVID passant par voie intranasale ou orale en test actuellement (dont BioNtech).

Une note : les vaccins donnés par voie intranasale ne sont pas nouveaux : le vaccin antigrippal vivant atténué (VVAI) chez l’enfant existe déjà au Canada. Le principe est aussi déjà utilisé de façon annuelle pour le bordetella/ toux du chenil chez le chien et chez les bovins, par vaccination du jeune bétail de façon intra-nasale contre les virus respiratoires syncytial bovin, la rhinotrachéite bovine et le virus parainfluenza 3.