COVID et devenir endémique: une réflexion.

Jean Barbeau, microbiologiste, Responsable de la prévention et du contrôle des infections, FMD, Université de Montréal.

L’endémicité est un concept difficile à définir, comme le démontre une série de publications. Elle pourrait être définie comme un état d’équilibre dans lequel une infection persiste dans le monde, dans certaines pays ou certaines régions.  Une infection endémique est assez typiquement caractérisée par des cycles sporadiques d’épidémies localisées et de retranchements. C’est le cas de la rougeole qui est endémique. Il y a eu une absence de cas pendant des années dans certains pays, mais la rougeole est réapparue de façon intermittente suite à une baisse du niveau vaccinal, et lors d’éclosions très localisées. Éclosions-retranchement.

En janvier 2021 près de 90% des experts jugeaient que la COVID deviendrait probablement endémique; je suis un de ceux-là. Je ne pense pas que ce % a changé beaucoup aujourd’hui.

À partir de quand est-ce que la COVID deviendra endémique, si elle le devient? Si tout le monde a son opinion plus ou moins assurée, personne ne peut prétendre le savoir. Peut-être dans 2 ans, peut-être dans 10 ans.

Contrairement à ce qui est parfois véhiculé, endémicité et immunité collective ne sont pas des équivalences. Il peut y avoir un lien, mais un virus peut être endémique sans qu’une immunité collective ait été atteinte. Le VIH est considéré comme endémique (et il est toujours techniquement pandémique) : nous vivons avec ce virus depuis les années 80.  Aucune immunité collective n’a été atteinte et elle n’est pas visée non plus.  À partir de quand  le VIH est-il devenu « endémique »?  Qui ou quel organisme l’a décidé?  Avons-nous délibérément pris la décision de pousser l’endémicité du SIDA?

L’endémicité ne découle pas nécessairement d’un relâchement des mesures préventives. C’est terriblement plus compliqué que ça.

Partir de la prémisse que nous (la science, le politique) poussons vers l’endémicité de la COVID est de mal articuler le débat. On ne décide pas vraiment de pousser la société vers l’endémicité d’une infection.  Personne n’a vraiment décidé de rendre la tuberculose endémique.

Par contre, nous poussons vers une protection des populations et des systèmes sociétaux. Il y aura nécessairement un impact sur le devenir de la COVID à long terme. Le niveau d’immunité d’une population et le maintien ou non de cette immunité à long terme auront leur mot à dire sur l’atteinte de l’endémicité. Les mesures sanitaires aussi ont un retentissement, quoique que leur influence à long terme (des années) est plus difficile à évaluer.  Maintenues à long terme, les mesures sanitaires (masque, distanciation, quarantaine) peuvent ralentir l’atteinte de l’équilibre endémique comme certains modèles le démontrent.  Ce ralentissement est nécessaire: comment pourrait-il en être autrement? Laissez cavaler sans contrainte SARS-CoV-2 pour atteindre l’immunité collective est intenable dans une société où nous pouvons et avons le devoir de protéger nos populations.

L’endémicité arrive (ou non) plus ou moins lentement, et rarement de façon pleinement prévisible.  Plusieurs facteurs sont imbriqués dans l’atteinte d’un stade endémique, et il est présomptueux de croire que nous avons vraiment un contrôle sur l’évolution vers cet état. La sévérité de la maladie, le type de microorganisme, sa capacité à muter (variants), sa voie de transmission, l’immunité naturelle ou vaccinale et sa durée, sont quelques-uns de ces facteurs. Si nous avons un contrôle (limité) sur certains facteurs, d’autres nous échappent.  Les fluctuations sur le nombre et l’ampleur des vagues nous le démontrent.  Un pays cité en exemple sur sa gestion de la première vague peut se retrouver en queue de peloton dans les vagues suivantes. L’inverse est aussi vrai. On ne peut, malgré ce qu’en pensent plusieurs, toujours mettre le doigt sur la cause précise de ces fluctuations. L’épidémiologie de la COVID est un méandre et un enchevêtrement de variables qui deviennent de plus en plus complexes.

On peut vouloir et théoriquement viser le zéro COVID dans un pays ou une région, mais si d’autres régions ne le peuvent pas (pour un grand nombre de raisons), le virus se dirigera inévitablement vers l’endémicité. Et il sera, tôt ou tard, réintroduit dans les régions temporairement dépourvues de cas. Le déséquilibre dans la couverture vaccinale planétaire rend l’endémicité très probable.

Il faut éviter les amalgames qui disent que si on finit par « vivre avec » la COVID c’est qu’on (restera à définir qui est ce « on ») l’aura sciemment décidé en laissant tomber les mesures préventives. L’exemple du SIDA ou de la tuberculose démontre que la prémisse est fausse. L’endémicité, le vivre avec, ne sont pas forcément basés sur une décision ou une abdication. Encore une fois, cette façon de voir les choses est très réductrice.

Mais l’endémicité, par contre, pousse inévitablement vers des décisions et des choix : que sommes-nous prêts à tolérer comme risque et comme mesures à long terme. À quel niveau et pendant combien de temps ces mesures ou ces risques seront-ils jugés acceptables? L’endémicité vient inévitablement avec un coût qu’il faudra évaluer et accepter (ou non) tôt ou tard.

Et si un certain niveau de mesures sanitaires (auxquelles je crois) devait durer aussi longtemps que l’endémicité, il faudra composer avec un certain inconnu ou avec les modélisations (toujours imparfaites parce qu’on ne connaitra jamais toutes les variables et encore moins le futur d’une pandémie).  Quel sera l’effet de la perte ou de l’atténuation collatérale de l’immunité naturelle face aux virus que nous garderons à l’ancre?  Pendant combien de temps, combien de générations cet effet sera-t-il soutenable?  Je crois que personne ne le sait, que c’est complexe et qu’il faut continuer d’y penser.

Personnellement, je ne pense pas que l’endémicité est obligatoirement une vision pessimiste. Nous avons cette vision parce que nous sommes plongés dans une pandémie depuis un temps que nous croyons outrageusement long et avec des drames passés, présents et à venir encore. Notre vision est fortement teintée par le niveau de lassitude et d’anxiété qui ne semble pas vouloir prendre fin.  Mais cette vision est limitée à notre histoire récente et à notre qualité de vie ici et maintenant. Un virus n’a que faire de notre perception du temps.

La mémoire immunitaire et ce que j’appellerais l’écosystème immunitaire global (infection naturelle et vaccination) changent inévitablement l’environnement dans lequel le virus navigue.  Si nous avons une compréhension  de cet écosystème, cette compréhension est à court terme.  Le reste est une affaire de modélisations, et de « prédictions ». Les autres coronavirus communs (du rhume) ont acquis un statut endémique, mais il est à peu près impossible de connaitre les détails de leur entrée dans l’histoire de l’humanité et des coûts des premières années passées dans la population humaine dans un trop lointain passé.

Certains modèles proposent que la transition de la COVID pandémique au statut endémique passera par un déplacement de la distribution de la primo-infection de la population adulte vers les groupes plus jeunes (1). Il faudra par contre tenir compte des séquelles à long terme de la COVID-longue.

Nous ne connaissons toujours que partiellement le présent, nous ne connaissons que des fragments du passé qui s’éloigne et nous ne pouvons que supposer de quoi l’avenir sera fait. Apprendre à vivre avec un virus endémique est en grande partie basée sur la façon dont le risque est perçu (et géré) par les individus et les gouvernements (3).

Mais la pandémie aura une fin, que SARS-CoV-2 deviennent endémique ou non.

Références:

1- Jennie S Lavine, Ottar N Bjornstad, Rustom Antia. Immunological characteristics govern the transition of COVID-19 to endemicity. Science. 2021; 371:741-745.

2- Veldhoen, M., Simas, JP. Endemic SARS-CoV-2 will maintain post-pandemic immunity. Nature Reviews. 2021. 21: 131-132

3- Brenza, A. What is an endemic virus? WHO warns COVID-19 « may never go away ». https://www.health.com/condition/infectious-diseases/coronavirus/what-is-an-endemic-virus

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