Jean Barbeau, microbiologiste, Responsable de la Prévention et du contrôle des infections, FMD, Université de Montréal.
Un jour, le jeune et futur prix Nobel Richard Feynman (1965) se préparait à donner une présentation devant une assistance où se trouvait Albert Einstein. Vous savez ce qu’Einstein a posé comme question à Feynman?
Où est le thé?
Feynman fut tout soulagé d’avoir pu répondre à une question d’Einstein.
L’océan de différence entre savoir et comprendre: Il suffit de savoir lire bout de ciarge!
Je ne calcule plus le nombre de vidéo youtube que je reçois depuis le début de la pandémie avec le bref commentaire :
« Oh! que vous êtes dans le champ! «
Sous-entendu: « Un autre expert a dit ce que je voulais entendre: il ne peut pas se tromper parce que mon instinct et mes émotions ne se discutent pas… J’ai fait mes recherches, pas vous… »
Point à la ligne, fin de la « discussion ».
Ben oui, toé…
Je vous explique comment se déroule un congrès scientifique habituellement. Une conférencière est devant une assistance et fait une brillante présentation d’une quinzaine de minutes, résumant parfois quelques années de recherche d’une équipe composée de dizaines de collègues, étudiants gradués et de professionnels de recherche.
Puis une période de question suit pendant laquelle des « experts » dans le domaine ou des domaines connexes essayent d’en savoir plus, tentent d’approfondir des points, font valoir des arguments.
L’arrogance peut parfois suinter de certaines questions ou commentaires, mais c’est plutôt rare. Les participants à ces congrès y viennent pour apprendre quelque chose de nouveau, pour repousser un peu les limites de leur ignorance, rectifier leurs idées. Habiller un peu leur esprit de bouts de connaissances. Mieux comprendre.
Est-ce que je peux vous dire qu’en plus de 40 ans, je n’ai jamais vu quelqu’un arriver en trombe, les fesses à l’air, pour claironner devant une foule d’experts que le conférencier est dans le champ et qu’il a une vidéo sur youtube sur son cellulaire pour le prouver?
Rien qui s’en rapproche.
Jamais.
Mais la période actuelle… Un peu de Google par ici, un peu de youtube par là… et Hop! Quelqu’un nous arrive nues-fesses pour affirmer qu’il a tout compris en biologie moléculaire. Tout! Un mois de recherche à raison d’une heure par jour entre deux sandwiches et les melting curves et les Ct des qPCR n’ont plus de secret. Idem pour la réponse immunitaire qui, pour certains se résume tellement aisément qu’on se demande bien pourquoi on écrit tant d’articles sur un sujet si intuitif.
Comme on m’a déjà dit : « il suffit de savoir lire, bout de ciarge! »
Jouez hautbois, résonnez musettes!
Vous ais-je déjà dit que je prends encore des heures à relire mes notes avant chaque cours d’immunologie ou de microbiologie de base? Des heures pour m’assurer, que même après 40 ans, j’ai bien compris? Des heures pour chercher si de nouvelles connaissances ont été publiées dans les journaux spécialisés? Pour entretenir l’humilité de me rappeler que j’ai déjà été à la place de tous ces brillants étudiants? C’est une préparation nécessaire ne serait-ce que pour arriver le moins tout-nu possible devant une classe ou devant mes collègues. Cette semi-nudité qui ne nous quitte jamais (et ne devrait jamais nous quitter) mais qu’on tente, à tout le moins, d’habiller avec des bouts d’étoffes de connaissances au fil des ans et ce, à chaque jour.
J’essaye toujours d’écouter plus que je ne parle : je suis entouré de gens qui en savent plus que moi sur tout. Chaque jour j’apprends. Et chaque jour je remplace un bout d’étoffe par un autre plus juste, plus solide.
Le grand drame auquel on assiste depuis longtemps mais plus cruellement avec la pandémie est celui-ci: en savoir juste assez pour être convaincu qu’on sait tout, et pas assez pour se rendre compte qu’on ne sait à peu près rien et qu’on comprend encore moins; qu’on s’est arrêté dans l’antichambre de la science et qu’on se promène de par le monde l’esprit nues-fesses. Ce qui va parfois de pair avec cette idée qu’on peut magasiner ses experts en fonction de la vérité qu’on désire ou qui nous apaise. Comme si, dans des domaines complexes, il s’agissait de choisir bêtement des bobettes chez Walmart suivant qu’elles sont en coton ou en polyester parce l’une est plus douce que l’autre.
Ce n’est pas une question d’intelligence; c’est lié à l’incapacité de réaliser qu’on est toujours au moins à demi-nu dans le domaine des idées et des connaissances, lié à l’idée, fausse, que savoir c’est comprendre. Dans ces cas, l’humilité est un morceau de sagesse : mieux vaut ne pas claironner à hue et à dia: on pourrait rapidement nous arracher notre dernier morceau d’étoffe…
Je crois que cette sagesse devrait s’appliquer partout et pour tous… même, et je dirais encore plus, pour un prix Nobel.