Les vaccins assurent-ils une immunité plus robuste que l’infection à la COVID-19?

Jean Barbeau, microbiologiste, responsable de la prévention et du contrôle des infections, Faculté de médecine dentaire, Université de Montréal.

Je pourrais répondre à la question en rubrique rapidement, en disant : fort probablement, oui. Vous auriez une réponse, mais vous verriez passer d’autres nouvelles sur les vaccins et les anticorps et vous ne comprendriez pas plus.

Je vais donc mettre mon chapeau de professeur et tenter de vous expliquer la base. Comme par le passé, je vais outrageusement vous résumer 25 heures d’immunologie et de virologie en un texte d’une page. Vous aurez ce qu’il vous faut pour comprendre : un énorme avantage sur le fait de savoir.

Commençons par la base :

Le virus de la COVID est un assemblage de protéines, de gras (lipides) et de matériel génétique (ARN).

Je laisse tomber les lipides et l’ARN parce que nous ne produisons pas (ou si peu) d’anticorps contre les gras et l’ARN.

Nous allons nous concentrer sur les protéines. La réponse anticorps et les lymphocytes T passent par les protéines de SARS-CoV-2.

J’y vais avec une analogie : Si vous voulez assembler un virus avec des blocs LEGO, il vous faudra une vingtaine de blocs LEGO différents (couleur ou forme). Évidemment, vous aurez besoin de centaines de blocs au total que vous allez combiner pour faire un beau virus joufflu et fonctionnel (infectieux). En bref, la structure du virus est faite d’un assemblage de blocs de couleurs et formes différents.

Bon : Bravo! vous avez un virus. En microbiologie les blocs sont appelés des acides-aminés.

Pour avoir un beau virus tout rond avec une belle couronne qui ressemble à un punk comme dans les livres, vous allez assembler des blocs pour faire une grande quantité de spicules (protéine S), et d’autres bidules qu’on appelle des nucléoprotéines et autres protéines.

Ce que voulez faire avec les vaccins (Pfizer, Moderna, AstraZeneca et J&J) c’est neutraliser le virus. Or, pour neutraliser le virus, vous devez l’empêcher de s’agripper à vos cellules. Si SARS-CoV-2 ne peut pas s’agripper rien ne va vous arriver.

Or, pour empêcher le virus de s’agripper il faut lui passer une camisole de force qui va bloquer les spicules (S). Vous aurez beau lui flanquer des claques sur les autres protéines, l’important c’est les spicules. Si quelqu’un vous attaque, vous avez un gros avantage à lui attacher les mains (protéines S), pas lui donner des pichenettes derrière les oreilles ou lui tirer les cheveux ou les poils du nez (autres protéines).

On se concentre donc sur la protéine S à partir de maintenant.

Un anticorps s’attache comme une clé sur une protéine. Mais il s’attache sur une quinzaine de vos blocs LEGO (on les appelle des épitopes). Une seule protéine S du virus comprend plus de 1000 blocs!

Vous êtes (ou allez l’être) vacciné avec les instructions pour la protéine S. Vous allez produire plusieurs types d’anticorps : chaque type s’accroche à des portions différentes de la même protéine S. Sur cette protéine, il y a des portions très typiques de SARS-CoV-2 et des portions communes avec d’autres coronavirus. Vous produisez donc des anticorps « polyclonaux ». Une pure beauté!

Mais, avec les vaccins actuels vous ne produirez pas d’anticorps contre ce qui n’est pas vraiment important : les autres protéines. Par analogie, votre système immunitaire ne perdra pas d’énergie à tirer les cheveux et les poils du nez du virus ou lui donner des pichenettes improductives derrière les oreilles.

Lorsque vous êtes infectés par le virus entier, votre système immunitaire produit des anticorps contre la protéine S et les autres protéines moins importantes.

Ce qui précède est essentiel pour comprendre en quoi les vaccins offrent un avantage sur l’infection naturelle à la COVID : réponse plus robuste et peut-être plus durable.

Et c’est aussi ce que démontrent quelques études scientifiques, dont celle publiée (avec la révision d’un comité de pairs) en avril par une équipe de chercheurs américains.

Lors d’une infection naturelle, le système immunitaire génère assez rapidement (phase aiguë de la COVID) des cellules B (qui vont éventuellement produire des anticorps) contre plusieurs portions de la protéine S, mais aussi contre d’autres protéines moins importantes. Lors de la convalescence, il y aura des anticorps (et des cellules B qui vont mémoriser la structure du virus) fort utiles (protéine S) en bonne quantité. Le problème semble être qu’après 4 mois la mémoire contre le virus semble s’attarder sur les protéines moins importantes et qui ne participent pas à la neutralisation du virus.

Ce qui se passe dans une infection naturelle à la COVID. En rouge vous avez les portions des protéines S de SARS-CoV-2, en rose les communes avec d’autres coronavirus et en orange et mauves des protéines contre lesquelles les anticorps ne sont pas protecteurs. Après 4 mois environ, les cellules productrices d’anticorps moins protecteurs semblent dominer.

Ce biais de réaction contre les protéines moins importantes n’arrive pas avec les vaccins qui ne réagissent que contre les portions de la protéine S qui s’agrippe à vos cellules.

Tout ce qui précède explique aussi pourquoi il est important d’avoir une dose (une seule est nécessaire) d’un vaccin après avoir eu la COVID. Cette dose de vaccin, rappelle au système immunitaire de concentrer sur les protéines S et de ne pas mettre trop d’énergie sur les protéines moins importantes.

Vous avez aussi ce qu’il faut pour comprendre pourquoi les vaccins peuvent parvenir à neutraliser les variants. Que ce soit le variant britannique, sud-africain, brésilien ou indien, la protéine S est la même: ce sont tous des SARS-CoV-2!

Référence:

Haley L. Dugan et collaborateurs. Profiling B cell immunodominance after SARS-CoV-2 infection reveals 1 antibody evolution to non-neutralizing viral targets. Immunity. 2021. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1074761321001989?via%3Dihub