Jean Barbeau, microbiologiste, Responsable de la prévention et du contrôle des infections, FMD, Université de Montréal.
Je vais essayer de faire ça simple. Ça l’est plus ou moins.
Je suis un « vieux » prof, je serais plus efficace avec un tableau noir et une craie. Les contrastes sont meilleurs qu’avec un tableau blanc et il y a le tac tac tac de la craie qui martèle le tableau et maintient les étudiants en éveil.
Je vais vous expliquer comment on calcule le % de la population qui doit être vaccinée pour arrêter la pandémie. Certains pensent le savoir, mais je peux pas mal vous assurer que leur « sachoir » est incomplet.
La formule utilisée est Vc = (1 – 1/R0) … ou encore (R0 – 1) /R0.
Vc, c’est l’immunité collective visée par les vaccins.

Avec ça, vous avez tout… il ne vous reste qu’à avoir une dizaine de variables (on va les appeler des postulats), dont l’efficacité des vaccins (E).
Revenons en arrière et rappelons-nous ce qu’est le R0, le nombre de reproduction de base. Pour la COVID du début (2020) avant les variants, une personne, en moyenne, infectait 3 malchanceux. R0 = 3 (environ). Et je vous disais que pour stopper la pandémie (Ô détail ambitieux) il faut que le R0 soit, et se maintienne jusqu’à la fin, à moins que 1. Il faut donc court-circuiter 2 personnes. 3 – 1 = 2. Avec la rougeole (R0=18) il faudrait en court-circuiter 17 (18 – 1).
Vous avez maintenant 90% de la matière sous le bras pour des soirées de discussion torrides. Vc = (1 – 1 / 3) = 2 (court-circuités ou vaccinés) / 3 malchanceux. Vc = 67%. Ça c’est le % pour avoir un R = 1 où l’épidémie est stable, mais encore embêtante. On veut mieux. Il faut être en dessous de 1. Alors on vise 70% de vaccinés au minimum.
Ça c’était au début. Maintenant il y a le variant B.1.1.7 (britannique). Il est environ 1.5 à 1.7 fois plus transmissible que la « vieille souche » R0 = 1.7 X 3. Nouveau R0 = 5. Oups! il faut donc vacciner 4 personnes sur 5 pour avoir un R0 de 1. Cible visée : plus de 80% de vaccinés dans la population.
L’efficacité des vaccins dans l’équation.
Vous vous dites Bingo! C’est clair.
Oui, mais il y a plus.
Pour avoir un seuil de vaccination critique de 80% il faudrait que les vaccins soient efficaces à 100% pour stopper la transmission. Re-Oups! Les vaccins sont efficaces à ~90% (E = 0.9) pour les deux doses. Il faut en tenir compte.
La formule devient Vc = (1 – 1 / R0) / E
Pour le variant B.1.1.7: Vc = (1 – 1 / 5) / 0.9 = (4 / 5) / 0.9 = 0.88
Maintenant nous visons 88% de vaccinés dans la population.
Ça, c’est avec 2 doses des vaccins.
Avec une dose, l’efficacité est excellente, mais moins que 90%. La règle : moins les vaccins sont efficaces, plus il faut vacciner de monde.
Et:
Si un vaccin a une efficacité plus faible que (1 – 1 / R0) soit dans notre cas 80%, il serait théoriquement impossible de stopper la pandémie.
C’est magnifiquement mathématique. Et c’est beau.
Et vous vous dites : Là ça y est tout est dit, je pars avec ça!
Eh non : tout n’est pas dit.
Quel est le taux de transmission en absence d’un vaccin?
C’est ce qui s’appelle de nombre de reproduction effectif. Il varie dans le temps, parce que le Rt change:
A- en fonction de la proportion de la population qui a été en contact avec la COVID (grosso modo 7-10% de la population québécoise jusqu’à maintenant et:
B- en fonction des différentes mesures sanitaires, qui elles aussi changent avec le temps et l’épidémiologie.
L’équation devient plus compliquée, mais pas tant que ça.
Ce Rt est difficile à évaluer parce que, si on peut savoir la proportion des québécois qui ont reçu un test positif à la COVID depuis le début en mars 2020, on postule que TOUS les gens ayant été en contact avec la COVID ont été testés. Ce qui est grossièrement inexact. Grosso modo, 345,000 personnes au Québec ont été infectées à la COVID depuis le début de la pandémie (avril 2021). Ce chiffre est fort probablement sous estimé. De combien? Impossible à dire. Posons 3X. Soyons conservateurs: 10% de la population a été exposée à la COVID. C’est l’immunité collective au temps t, soit (it). Mais ce 10% est très variable: il n’est pas le même à Montréal qu’en région…
L’évaluation de l’effet des mesures sanitaires est plus aléatoires, parce que celles-ci changent et qu’il y en a plusieurs: distanciation, masques, couvre-feu, fermetures partielles etc…
Les Postulats
L’équation qui nous permet d’évaluer le seuil de vaccination critique sera « exacte » si tout le monde est également susceptible à l’infection, que l’infection se transmet de façon homogène, que tout le monde répond de façon identique au vaccins, que le R0 reste stable (prenons en compte les variants présent et futurs) et quelques autres hypothèses enlevantes. Par exemple? L’immunité collective au temps (t). Cette immunité collective a un impact sur Vc en réduisant théoriquement la cible de vaccination à atteindre. Mais on n’en tient pas compte facilement parce sa mesure est imprécise: durée de l’immunité naturelles, distribution non homogène des personnes infectées par groupes d’âge ou autre, souche de SARS-CoV-2 prévalent à « l’époque ».
Un autre exemple non négligeable: 20% des infectés sont responsables de 80% des cas. La transmission n’est pas homogène: il y a des individus super-propagateurs et des événements super-propagateurs. On pourrait faire d’excitants calculs pour vacciner une plus large part des super-propagateurs par rapport aux autres. Ça marcherait. Mais, et quel GROS mais! On ne connait pas les super-propagateurs et il est possible qu’ils soient moins enthousiastes à être vaccinés. On sait aussi que les jeunes enfants, bien qu’ils puissent transmettre l’infection, sont moins efficaces pour le faire.
Ainsi, bien qu’on lance à droite et à gauche des chiffres, la question de la vaccination contre la COVID n’est pas simple. Un vaccin peut 1) réduire les symptômes ou les éliminer et/ou 2) réduire la propagation. Ainsi dans Vc = (1 – 1/R0) / E, l’efficacité des vaccins (E) à mettre dans notre équation est celle qui permet de réduire la propagation. Avec les données dont on dispose, on peut affirmer que les vaccins anti-COVID sont efficaces à cet égard.
Et notre équation dépend aussi du fait que le calendrier de vaccination procède par groupes: âge, vulnérabilité etc. S’il était pleinement nécessaire de commencer à vacciner les plus vulnérables, ceux-ci ne sont pas les plus grands propagateurs pour des raisons, entre autres, de mobilité. Les plus grands propagateurs, en général, se retrouvent dans les gens en âge de travailler, mobiles et très actifs socialement. Ce ne sont pas nécessairement les plus jeunes (enfants ou adolescents) non plus.
Vous voyez qu’une équation mathématique relativement simple ne fera pas sortir un chiffre simple si on postule n’importe quoi ou qu’on ne postule rien du tout…
Et il y aura ce phénomène très humain: plus on se rapprochera du seuil de la vaccination critique plus il sera difficile de l’atteindre. Si on vous dit que le chiffre à atteindre est, disons, 80% et que vous apprenez qu’on est à 78% vous allez vous dire que les autres vont combler les 2% qui manquent. Un phénomène bien documenté par les théories mathématique du jeu et qui fait ressortir l’effet de « squatter ».
CONCLUSION
Pis le prof? C’est 70%? 75%? 80%? ou 88%?
Ma réponse simple : visons 100% en sachant qu’on n’y arrivera pas.
Quoi? Tout ça pour en venir à ça?
Eh, Oui
Mais maintenant, avec un peu de pratique, vous pouvez vous obstiner avec le voisin (qui n’a qu’un bête chiffre à vous opposer) avec les mathématiques sous le bras. Difficile de contredire une formule.
Prenez soin de vous!
Références
1- Fine, P., Eames, K., Heyman, D.L. Herd immunity : a rough guide. Vaccines. 2011: 52: 911-916
2- Santé Publique Ontario. COVID-19 – Ce que nous savons jusqu’à présent sur… l’immunité collective. 15 janvier 2021.
3- Bauch, C.T, Earn, D.J.D. Vaccination and the theory of games. Proc. Natl. Acad. Sci. 2004: 101: 13391-13394