« Yeah, Well, Thats Just, Like, Your Opinion Man »
[The Big Lebowski, les frères Cohen]
Jean Barbeau, microbiologiste, responsable de la prévention et du contrôle des infections, Faculté de médecine dentaire, Université de Montréal.
Ce qui est admirable et courageux en science ce n’est pas d’essayer à tout prix d’avoir raison. C’est de faire des efforts véritables pour tenter de prouver qu’on a tort. Et être ouvert au résultat. Cette période pandémique, hautement émotive, offre l’occasion pour remettre des choses en perspective. Si tout le monde prenait le temps d’appliquer les principes qui suivent, les débats d’idées seraient non seulement courtois mais tout le monde en sortirait gagnants. Comme l’écrivait John Stuart Mill [De la Liberté, 1860] l’opinion générale ou dominante sur quelque sujet que ce soit est rarement ou jamais toute la vérité, on n’a de chance de connaître cette vérité en entier (si c’est possible) que par circulation des opinions adverses et que l’espace des échanges soit libre de contraintes et de violences.
La science c’est plus qu’un résultat, c’est d’abord une méthode. Et cette méthode tient, entre autres, à quelques questions et un concept (exprimé par Karl R. Popper, philosophe des sciences (1959)).
Si je pense, ou suis convaincu d’avoir raison, voici la question que je dois m’administrer: Qu’est ce qui pourrait prouver que j’ai tort? Y a-t-il un argument, une preuve qui pourrait mettre à terre ma conviction, ou mon hypothèse? Je dois m’activer énergiquement à trouver cette preuve. Et si je la trouve, ma conviction doit être réévaluée et mon hypothèse doit être abandonnée.
Cette question supporte un concept central en science : l’ouverture à la réfutation. Tout le monde, scientifique de formation ou non, devrait l’appliquer : est-ce que ma conviction, mon affirmation, mon idée PEUT être invalidé ou réfuté? Ici, il faut distinguer trois catégories.
1) l’affirmation PEUT être invalidée, mais elle est vraie (elle a résisté à l’épreuve) Par exemple la théorie de l’Évolution est toujours ouverte à la réfutation par de nouvelles données, mais elle est encore vraie aujourd’hui. Elle PEUT être invalidée parce que des expériences peuvent être faites;
2) l’affirmation n’est pas basée sur quelque chose de vérifiable (exemple, Dieu a fait gagner mon équipe). Aucune expérience n’est possible sur cette question. Vous avez donc un énoncé qui ne PEUT être réfuté;
3) L’affirmation ne peut être invalidée parce que je refuse d’avoir tort (les idées politiques entrent souvent dans cette catégorie).
Dans les deux dernières catégories précédentes, l’affirmation ne PEUT être réfutée : aucun argument logique ne pourra alors vous faire changer d’idée. L’espace de discussion est fermé. Il faut alors éviter de perdre son temps. Les sautes d’humeur et les invectives sont la plupart du temps le résultat de discussions qui tournent péniblement autour de la troisième catégorie.
Pourquoi?
Parce qu’il y a peu de situations plus irritantes que celles-ci : être convaincu qu’on a raison, mais être incapable de le prouver ou réaliser qu’on est dans l’erreur après s’être débattu comme un « diable dans l’eau bénite ». L’égo est en péril. Ainsi, bien qu’il soit assez rare de voir une bagarre générale éclater dans un congrès scientifique, on peut trouver moult exemples de violences (physiques ou verbales) associées à des divergences d’opinions religieuses ou idéologiques.
En science, une affirmation DOIT être ouverte à être invalidée ou réfutée, soit par l’expérience (laboratoire, clinique) ou des arguments basés sur la logique ou l’expérience (des publications révisées par des pairs). Si quelqu’un en science fait une affirmation qui ne peut être vérifiée ou qui est opaque à la réfutation, alors ce n’est pas de la science. C’est une idéologie religieuse ou séculaire. Dans un congrès, cette personne est poliment invitée à aller voir ailleurs si nous y sommes.
En principe, les opinions sont plus flexibles. Ce qui est parfait, sinon nous serions condamnés à n’ouvrir la bouche que bardés de publications que nous devrions avoir lues. Ceci dit, même une opinion ou un point de vue requiert un certain niveau de justification.
Et vous savez ce qu’on dit : Les points de vue, c’est comme les nombrils : tout le monde en a un.
Il ne fait aucun doute que même les scientifiques de profession peuvent échapper le ballon dans la vie de tous les jours. Ils ne sont pas immuns aux affirmations grandiloquentes, aux points de vue, parfois bêtes à pleurer, non appuyés par des preuves ou à la bullshit dite académique (qui est habituellement obscure et volontairement incompréhensible, même par ceux qui gravitent dans le domaine). Je ne vois pas par quel prodige les scientifiques échapperaient à ce phénomène qui afflige l’humanité depuis la première bêtise proférée dans une caverne.
Mais il y a une éthique intellectuelle à conserver lors des débats ou lorsqu’on s’exprime sur des enjeux où la science est nécessaire. Cette science, et les affirmations sur cette science DOIVENT être vérifiables.
Et seule l’humilité intellectuelle, qui s’applique à tout le monde, peut préserver la courtoisie dans les échanges.
Que vient faire l’ornithorynque dans cette histoire? Comme la courtoisie dans les débats c’est un animal rare…
Jean Barbeau, microbiologiste, Responsable de la prévention et du contrôle des infections, Faculté de médecine dentaire, Université de Montréal.
Cet article a été publié la première fois en 2010 dans la foulée de la pandémie de H1N1. Il a été adapté et il est reproduit avec la permission du Journal de l’Ordre des Dentistes du Québec. (JODQ, 47(2); 2010).
L’article est plus que jamais d’actualité avec la campagne de vaccination contre la COVID. J’utiliserai donc en grande partie l’expérience acquise pour la vaccination contre la grippe de 2009 pour illustrer les problèmes auxquels nous faisons face en 2021: réticence aux vaccins, complotismes, désinformation.
Je ne suis point médecin, et vous n’êtes point malade; mais il me semble que je vous donnerais une fort bonne recette si je vous disais : Défiez-vous de toutes les inventions des charlatans, soyez honnête homme, et croyez que deux et deux font quatre.
Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1765
Ce bon conseil de Voltaire s’est inséré à merveille dans ma réflexion sur la vaccination, amorcée en septembre 2010. Bien campé sur ma « foi » dans la science, je n’avais pu imaginer qu’un simple vaccin – que je croyais aller de soi – allait soulever un pareil vent de controverses et d’émotions. Il m’est apparu que l’opinion publique, lorsqu’elle est malmenée par un flot d’informations contradictoires, devient parfois un fauve indomptable. C’était vrai en 2009-2010, c’est aussi vrai en 2021.
Il n’est pas de mon propos d’user de sarcasme envers ceux et celles pour qui des zones grises au sujet des risques des vaccins pandémiques, n’ont pas été franchement peintes soit en blanc, soit en noir. Je ne prétends pas jouer ce rôle de peintre monochrome. En revanche, je n’hésiterai pas à écorcher sans ménagement les messies autoproclamés qui sciemment – et qui plus est, à répétition – répandent des énormités pour embrigader des disciples vulnérables.
Où il est question de complots et de guillotines…
Il est très ordinaire, après une sottise dite d’en dire quatre autres pour la rhabiller. La sottise est de la race du mensonge, ou celui-ci de la sottise : pour en soutenir une, il en faut beaucoup d’autres.
Baltasar Gracián, L’art de la prudence, 1706
La recherche et la « découverte » de complots ourdis par l’OMS, les gouvernements, Bill Gates, ou Big Pharma a eu une période fort fertile avec la pandémie de COVID. Bien qu’il ne faut pas s’enorgueillir de ce fait, nous avons au Québec de vigoureux défenseurs de théories parfois délirantes qui entourent la COVID d’un brouillard suspect et, heureusement opaque à toute vérification sérieuse. Une opacité nécessaire à la survie des conspirations dans l’imaginaire.
Par exemple
la pandémie n’existe pas,
le virus a été créé par le gouvernement chinois ou, alternativement, par les américains,
Bill Gates va introduire une puce dans les vaccins (lesquels? Il y en a potentiellement des dizaines à venir) pour nous suivre… ce que nos téléphones cellulaires font pourtant très bien.
des milliers de décès dûs aux vaccins sont cachés à la population (comment? du diantre si je le sais). À l’ère des médias sociaux on peut savoir si John Doe s’est coincé le majeur, photo à l’appui, en sortant de sa voiture).
des camps d’internements, des guillotines et des fours crématoires sont en construction à des endroits, comme c’est commode, tenus secrets même pour les théoriciens du complot.
Rien de nouveau sous le soleil! Les complots anti-vaccins existaient déjà au 19ème siècle pour empêcher la vaccination contre la variole à Montréal. On ne fait que mettre ces complots à la sauce du jour (même pour les guillotines) et ils font maintenant dix fois le tour du monde en moins de 30 minutes.
Un autre exemple?
Le Palais des congrès de Montréal tenait, le 12 septembre 2009, un congrès destiné à organiser une résistance pugnace à l’infâme projet de l’Opus Dei scientifique voué à réduire la population mondiale à un très vivable 500 millions d’individus (2). Les vaccins, c’est l’évidence, représentent le moyen le plus brillant d’atteindre cet objectif. Je n’avais pu me libérer pour assister à l’événement, mais un reportage de l’émission Enquête (3) en faisait mention. J’avais rencontré personnellement une des conférencières (auteure de La Mafia médicale (4, 5)), en 1995. Un autre anti-vaccin connu et ses acolytes m’inondaient chaque semaine, de leurs édifiants courriels soit directement, soit par l’intermédiaire d’une série de courriels en copie conforme que je n’en finissais plus de jeter à la corbeille.
Bref! Il y était, entre autres, question de guillotines que le Québec – dont l’expertise en la matière est notoire – exportait dans quelque 800 camps de concentration aux États-Unis pour contribuer à remplir les fosses communes de tous ceux qui n’avaient pas voulu se faire vacciner. La question des camps de concentration au Canada a aussi fait surface en 2021 suite à une question d’un député indépendant au fédéral.
Ces propos ne sont pas aussi exceptionnels que l’on souhaiterait qu’ils le soient. Les extrémistes anti-vaccins de chez nous ne sont que l’écho de ce qu’on peut retrouver ailleurs dans le monde civilisé. En Autriche, Jane Burgermeister (www.theflucase.com), journaliste d’enquête, aussi autoproclamée, sévissait en 2009 en ayant déposé une plainte pour crime contre l’humanité contre l’OMS, l’Organisation des Nations Unies, Barack Obama, trois banquiers et Werner Faymann, chancelier d’Autriche, entre autres, les accusant de vouloir commettre un génocide de masse avec la vaccination contre la pandémie. Ne voulant pas être en reste, un avocat, à Grenoble (6), pilotait apparemment une poursuite similaire en France (7). Questionné sur la validité de sa cause, l’avocat affirma s’être documenté solidement, ayant amassé des témoignages de dizaines de médecins (qu’il n’avait pu nommer alors) qui lui avaient certifié que les vaccins n’ont jamais prévenu aucune infection.
Ça ne s’invente pas…
Les tenants des complots utilisent systématiquement le même procédé trompeur pour parvenir à leurs fins. Je l’appellerai la démonstration par « retournement de la chaussette ». Cette stratégie consiste à poser comme prémisse qu’un complot existe certainement et à ne s’employer qu’a posteriori à en trouver les preuves (à beaucoup chercher, même des invraisemblances, on finit toujours par en trouver (8). Comme un complot est, par définition, un acte secret mené par une autorité quelconque (dans le cas de la vaccination, il s’agit de l’OMS, l’establishment médical, les chercheurs ou les académiciens en général), tout document produit par l’autorité n’est que propagande et doit nécessairement être faux. Il en découle – en retournant la chaussette – que toute documentation rejetée, que l’on remplace par le terme « censurée », par l’autorité est certainement vraie. Il devient alors aisé de discréditer toutes les études – qu’il n’est plus nécessaire de lire – qui contredisent la thèse de la conspiration et de ne s’attacher qu’à quelques études obscures ou oubliées dans les sous-sols des bibliothèques. On comprend mieux pourquoi, dans certains débats, un expert débute automatiquement avec deux prises avant même d’ouvrir la bouche.
… et d’experts présumés
Un homme n’atteint pas le statut de Galilée uniquement parce qu’il est censuré, encore faut-il qu’il ait raison.
Stephen Jay Gould, Ever Since Darwin
Les gou(rous) ne sont pas à discuter.
Mon père, communication personnelle
J’avais eu, en novembre 2009, à répondre à un courriel qu’un de mes étudiants en immunologie m’envoyait pour, et je cite, «m’ouvrir les yeux » sur la vérité au sujet des dangers des vaccins. Il aurait été plus satisfaisant de savoir que cet étudiant ait ouvert ses propres yeux et ses oreilles lors de ses cours. Mais ce courriel ayant été envoyé à chacun des 199 étudiants de sa classe, alors que la campagne de vaccination pandémique tentait de prendre son envol, je n’ai eu d’autre choix que d’intervenir. On citait dans ce courriel deux experts internationaux, un neurochirurgien, le Dr Russel L. Blaylock (9), et un neuropsychiatre, le Dr Andrew Moulden (10), tous deux bardés de diplômes, et supposément confortablement assis sur des montagnes de publications et de distinctions à faire pâlir Albert Einstein dans sa tombe. Après quelques brèves recherches, j’avais réussi à mettre la main sur quelques publications de Blaylock : trois articles théoriques (le même, incidemment, en trois parties (11) dans la revue Alternative Therapies In Health and Medicine et des bouquins (12, 13). Moulden, diplômé de McMaster, ne semblait pas avoir publié quoi que ce soit, mais se retrouvait sur plusieurs sites Web. Ces experts présumés y faisaient état de leurs découvertes sur la catastrophe planétaire que sont les campagnes de vaccination. Ayant parfois quelques moments libres, j’avais parcouru les articles et lu des extraits de certains livres. J’y ai appris des choses stupéfiantes. Entre autres, que les vaccins bouchent les vaisseaux parce que les globules blancs, qu’ils stimulent, sont trop gros pour passer dans les capillaires sanguins (14). J’avais réfléchi quelques minutes pour m’étonner qu’après quelques milliards d’années d’évolution, la nature n’ait pas pu réajuster le tir de ce monumental vice de conception qu’aucun livre de médecine ne mentionne.
C’est une erreur regrettable de croire à une énormité sous prétexte qu’elle a été proférée par un médecin. Les activistes anti-vaccin, pourtant prompts à placer sur le bûcher l’establishment médical dans son ensemble, s’empressent néanmoins de se prosterner devant quelques médecins cascadeurs pour en faire des gourous et des martyrs de la liberté d’expression (ainsi en est-il encore aujourd’hui). La question des vaccins à ARNm de Pfizer et Moderna entre autres a soulevé des passions alimentés par des faussetés. Faussetés colportées, entre autres, par des experts qui ne semblent pas s’oxyder de saccager leur carrière en versant dans le quasi-complotisme. Prenons pour exemple la controversée généticienne française Alexandra Henrion-Caude pour qui ces vaccins sont en fait de la thérapie génique, capable de modifier à tout jamais les gènes des patients. La généticienne n’était apparemment pas au bout de ses ressources en affirmant (comme le prix Nobel Luc Montagnier) que SARS-CoV-2 est «probablement issu d’une manipulation génétique». Et, du même souffle, Henrion-Claude a également dit que les masques favorisent la prolifération de bactéries en plus de provoquer des maux de tête et des problèmes de respiration. Des informations qui sont fort trompeuses (55).
Nous vivons heureusement dans une société où la liberté de parole est chose précieuse… ce qui inclut aussi le droit de mentir ou de bullshitter.
Et s’il n’a pas été aisé de départager un véritable expert d’un ancien importateur d’ananas (57) qui a «étudié la science de façon autodidacte» et qui répond à une série de questions à propos de la pandémie de COVID-19, comment, je vous le demande, est-ce que le public peut parvenir à trancher entre deux expert? On me fera remarquer que je ne suis point vaccinologue – ce qui est vrai – mais je ne suis pas astronome non plus et je me permets d’affirmer qu’Elvis Presley ne vivait pas en 2010 sur la planète Nibiru qui devait entrer, selon certains, en collision avec la Terre le 21 décembre 2012 (15) pour une énième fin du monde.
Et voilà où le bât blesse. Les invraisemblances, même grossières, peuvent, en apparence, être logiques si elles sont présentées par des messies-cascadeurs habiles à manier la parole et les sophismes ou à s’afficher de façon ostentatoire avec un stéthoscope en guise de cravate. Il est maintenant fort aisé de magasiner les experts sur la toile. En général ils sont en vente sur youtube. La façon dont ils sont dénichés procède systématiquement du même procédé vicié:
1- On débute avec la conviction que les vaccins sont mauvais ou qu’ils ne servent à rien;
2- Si nous en sommes convaincu ça ne peut être que vrai: la force de LA vérité ne pouvant qu’être proportionnelle à l’intensité de notre croyance (c’est le principe de la « post-vérité »);
3- Tous ce qui émane des organismes officiels est donc nécessairement faux ou, du moins suspect (le nombre de fois qu’on m’a soupçonné de recevoir un salaire mirobolant de l’OMS le démontre);
4- Inutile de perdre son temps à lire ce qui est nécessairement faux (ou, de toute façon trop compliqué pour ne pas avoir été inventé pour faire diversion);
5- Si nous avons raison, il doit y avoir un experts qui le dit quelque part: il est juste censuré, donc caché;
6- On fait ses recherches sur youtube ou sur un site complètement inconnu, et on trouve un médecin, un Ph.D. ou un Nobel qui, le regard sombre, annonce habituellement rien de moins que l’apocalypse ou, sur un site web tout aussi inconnu, l’écrit en lettres majuscules;
7- On partage notre satisfaction d’avoir un experts qui nous donne raison dans un domaine que nous sommes sûr d’avoir maîtrisé.
8- L’expert obscur est amené à la lumière pour ouvrir huit milliards de paires de yeux et on demande à 99.9% des experts de prouver que le nôtre a tort…
Celui qui dispose d’informations correctes n’a dans le fond qu’une seule chose à dire: la vérité. Le bullshitteur, en revanche, dispose d’un stock infini de conneries, puisqu’il y a plusieurs manières d’être dans l’erreur.
[Sebastien Dieguez, Total Bullshit]
Comment un expert peut-il, de façon convaincante, réfuter une série d’invraisemblances sans y perdre un temps fou? Le voilà qui se débat, qui cite ses connaissances, la littérature, son expérience de terrain et sa logique. Et le débat s’enlise dans les détails techniques qui lassent l’auditoire. Ce qui laisse croire, faussement, que l’expert s’adresse à un autre expert. Peu importe l’issue, le faux messie aura gagné, au moins, d’être traité d’égal à égal. Et les conséquences peuvent être dramatiques en présence d’enjeux comme la vaccination. Ma perception est qu’il ne faut pas tenter de réfuter des énormités en présentant des faits scientifiques sur la place publique; on donne ainsi l’image d’être sur la défensive alors que c’est l’inverse qu’il faut rechercher. En général, les messies aiment parler beaucoup et noient leurs auditeurs sous un flot de paroles, de fausses études et d’arguments trompeurs. Forcer les faux experts à détailler leurs sources, à ouvrir leur jeu, les interrompre, lors de débats, pour demander continuellement des précisions et les forcer à trébucher dans leurs propres lacets, me semble plus prometteur comme stratégie de réfutation. Tôt ou tard, les messies finissent par perdre le fil de leurs pensées éparses et s’empêtrent dans des incohérences et leurs lacets. Ce faisant, ils étalent leurs failles.
Évidemment, il peut arriver qu’un « lanceur d’alerte » se trouve à avoir raison. Mais, comme le disait le grand Stephen J. Gould dans son excellent livre Ever Since Darwin: « l’Histoire fournie un filtre biaisé à notre jugement. Nous chantons l’éloge des héros non-orthodoxes, mais pour chaque hérétique victorieux, il a des centaines d’hommes oubliés qui ont combattu les notions prévalantes et qui ont perdus« . Comment un profane peut-il juger des arguments rivaux et techniques de supposés experts? Ce qui revient à poser cette question cruciale: sur quelles bases choisit-on un expert? Si on se méfie d’experts reconnus, par quel de prodige de raisonnement est-ce qu’on porte aux nues un « spécialiste » contesté?
Au sujet du lien entre l’autisme et les vaccins
En 1998, une publication dans le journal médical The Lancet jetait une énorme pierre dans la mare relativement calme de la science vaccinale. Un lien supposé entre l’autisme et le vaccin RRO (rougeole rubéole- oreillons) y était suggéré. La chose était sérieuse. Les auteurs écrivaient cette réserve : «Nous n’avons pas démontré d’association entre le vaccin de la rougeole, de la rubéole et des oreillons et le syndrome décrit. Des études virologiques sont en cours et pourront aider à résoudre cette question» (6). La grenade était néanmoins lancée, et Wakefield, le chercheur principal, décida de tenir rapidement une conférence de presse pour annoncer que le vaccin RRO pouvait causer l’autisme, et ce, avant d’obtenir les résultats virologiques qui s’avérèrent douteux par la suite. Il fut porté à la connaissance de l’éditeur du journal The Lancet que l’étude de Wakefield comportait un certain nombre d’irrégularités. Entre autres, Wakefield recevait un salaire d’un avocat représentant les parents d’enfants autistiques pour qui le vaccin RRO était en cause (18). L’éditeur du journal publia une lettre blâmant les auteurs de l’étude pour avoir omis de mentionner un certain nombre de faits qui pouvaient biaiser l’étude (19). L’article fut retiré du Journal en 2010, soit 12 ans après sa publication. Mais un conflit d’intérêts n’est pas une preuve qui invalide automatiquement une étude : la science veut mieux.
Une pluie de reproches s’abattit sur Wakefield et sur ses collaborateurs pour dénoncer une étude bâclée (20). De fait, l’étude en question, en ce qui concerne le lien entre le vaccin et l’autisme, devrait être citée en exemple pour ses grossières erreurs de conception et d’interprétation. Encore une fois, la rigueur et la prudence de la science demandaient plus qu’une simple lapidation publique. Le sujet était trop délicat et sérieux pour balayer les inquiétudes légitimes des parents sous le froid tapis de la méthode scientifique. Wakefield a fait de la mauvaise science? Qu’à cela ne tienne, nous en ferons de la meilleure, a été la réponse de la communauté scientifique.
À ce jour, aucune des nombreuses études faites à partir d’un grand nombre de jeunes sujets (dont une étude au Québec (21)) n’a démontré d’association entre le vaccin RRO et l’autisme (22, 23, 24). Les travaux de Wakefield n’ont jamais pu être reproduits… parce qu’ils sont non reproductibles (56). Même constat pour le lien entre le mercure contenu dans le thimérosal (agent de conservation de certains vaccins) et l’autisme (14, 25), popularisé entre autres par l’équipe père-fils Mark et David Geier (26) de l’Institute for Chronic Ilnesses, qui incriminaient aussi les amalgames dentaires dans la foulée (27). En creusant un peu, toutefois, on constatait que l’Institute for Chronic Ilnesses, qui abrite le laboratoire des Geier, n’existait pas officiellement. En revanche, les archives de The Office of Human Research Protection, dans le Maryland, indiquaient que l’institut avait été enregistré en bonne et due forme en 2006 (28) et qu’il était situé… dans la résidence des Geier (29). Mark Geier était un témoin expert «professionnel» pour les causes sur l’autisme, ce qui avait achevé de le discréditer auprès de certains juges qui ont souligné sa malhonnêteté intellectuelle (30, 31). Tout comme Wakefield, il avait été abondamment accusé de s’adonner à de la science-poubelle et l’éditeur de l’Autoimmunity Journal a retiré un des articles des Geier (32). Le duo père-fils a breveté un traitement pour l’autisme qui consiste à donner d’importantes doses de Lupron (utilisé pour la castration chimique) et d’agents chélateurs aux enfants pour purger l’organisme du mercure qui est supposément complexé aux androgènes (33), un traitement dangereux ne reposant sur aucune base scientifique. Vous pourrez retracer les Wakefield et Geier dans la vidéo Silence, on vaccine (34), un document de propagande qui ne mentionne pas les études qui ont invalidé à répétition les travaux des Geier.
Ces deux controverses ont eu au moins trois effets pervers qu’il convient de souligner. Premier effet pervers, ces controverses ont été à l’origine d’une diminution sensible de l’immunité collective qui protégeait les enfants contre certaines infections potentiellement graves. À la suite de l’affaire Wakefield, le taux de couverture du vaccin contre la rougeole est passé sous le seuil sécuritaire dans plusieurs pays.
Deuxième effet pervers, il y a une perte de confiance du public envers la communauté scientifique. Les scientifiques communiquent – lorsqu’ils le font – souvent très mal et sont en général peu efficaces dans les débats publics. Ajoutons qu’avec la pandémie de COVID, la science atterrissait dans votre poche arrière souvent avant même que les publications soient adéquatement révisées par des pairs avec ses nuances et ses mise en garde.
Dernier effet pervers, ces controverses sur l’autisme ont détourné de l’énergie, du temps et de l’argent vers de fausses pistes que la communauté scientifique n’avait pas le choix d’étudier. Ce dernier point doit être regardé sous un angle que les activistes anti-vaccin ne mentionnent pas. La communauté scientifique a été, et est encore, accusée de ne pas être à l’écoute des inquiétudes du «peuple» et d’être insensible aux souffrances des familles éprouvées par l’autisme. Or, le fait que de nombreuses recherches aient été conduites sur le sujet, en réponse aux inquiétudes de la population, démontre exactement l’inverse. On perd souvent de vue que les chercheurs ne sont pas les êtres désincarnés personnifiés dans les films de James Bond; ce sont aussi des parents pour qui la santé de leurs enfants est une préoccupation sincère. La communauté scientifique s’est prononcée sur ce sujet et continuera à y travailler, mais il est clair qu’elle est rassurée : il faudrait maintenant que les parents écoutent aussi ce que la science leur dit.
Les effets secondaires des vaccins et les pièges du post hoc, ergo propter hoc (après ceci, donc à cause de ceci)
Quand [bien même] il serait vrai que les comètes ont toujours été suivies de plusieurs malheurs, il n’y aurait point lieu de dire qu’elles en ont été le signe ou la cause. On pourrait attribuer la même influence au mariage ou à la naissance d’un roi, parce qu’il est certain que jamais un roi ne s’est marié ou est venu au monde sans qu’il soit arrivé de très grands malheurs en quelque lieu de la terre.
Pierre Bayle, Pensées diverses sur la comète, 1682
Le grand problème avec les vaccins, c’est qu’ils sont destinés aux individus qui ne sont pas malades et pas encore infectés. Un risque d’effet indésirable grave, même de un sur un million, devient alors presque intolérable en regard d’une infection hypothétique. Nous voilà ensuite à jongler avec deux questions existentielles : se faire coincer naturellement par un virus potentiellement mortel au hasard de la malchance ou se faire injecter artificiellement, mais sûrement, un vaccin que l’on croit peut-être risqué? Le choix nous déchire et nous poursuit parfois jusque dans la file d’attente de la clinique de vaccination. Ira, ira pas?
La question des effets secondaires possibles aux vaccins doit être examinée avec rigueur. Lorsqu’une compagnie pharmaceutique comme Pfizer, Moderna, Johnson & Johnson ou AstraZeneca lance une étude clinique pour mesurer l’efficacité d’un vaccin, elle doit aussi en vérifier l’innocuité.
Pour ce faire, des cohortes sont constituées avec quelques milliers de sujets volontaires sains dans des études cliniques indépendantes. Ces études doivent se faire en respectant le guide des bonnes pratiques cliniques, qui indique que tout effet indésirable doit être obligatoirement versé au dossier des sujets de l’étude pour toute la durée de l’étude (35). Tout effet indésirable survenant pour toute la durée de l’étude (et même après, sur le terrain comme le démontre la situation de AstraZeneca) est considéré comme suspect, jusqu’à preuve du contraire. Une patiente reçoit un diagnostic de cancer de l’ovaire 10 jours après la prise du vaccin : est-ce effet indésirable du vaccin? Un patient meurt d’un infarctus du myocarde ou d’une cirrhose le lendemain : effet indésirable aussi? Pour le vaccin ArepanrixMC (A H1N1) vous pourrez avoir une idée assez juste de cette réalité en consultant le document de GlaxoSmithKline qui est du domaine public (36, 37). Le problème, c’est qu’avant que l’on puisse conclure que l’effet indésirable n’est pas relié au vaccin, la nouvelle peut se répandre comme une traînée de poudre dans la population, alimenter les craintes et les rumeurs (38) et apporter de l’eau au moulin des chercheurs de conspirations qui y verront la preuve de leurs affirmations (39). C’est ce qui s’est produit lors de l’annonce du décès d’un octogénaire survenu après avoir reçu le vaccin contre A H1N1 en novembre 2009 (40). Plus récemment, des effets secondaires ont été rapportés (ils sont publics) pour Pfizer et Moderna (anaphylaxie: entre 2,5 et 4,7 cas par million de doses) ou AstraZeneca (embolies suspectées: 20 cas sur plus de 10 millions de doses). Il n’y a là rien d’anormal: les cas d’anaphylaxie ou d’embolies surviennent dans la population en général (sans vaccin) avec une fréquence similaire. Il faut par contre prouver une relation de cause à effet.
Ceci étant dit, nul ne peut prétendre que les vaccins sont sans effets indésirables.
Transformons-nous maintenant en statisticien pour la suite en prenant l’exemple du syndrome Guillain-Barré et le vaccin contre la grippe. L’exemple pourrait être transposé à l’anaphylaxie ou aux embolies.
Plus le nombre d’éléments est important dans des systèmes à variables multiples, 1) plus on a de chances de voir apparaître des événements qui coïncident et 2) plus on a de chances d’assister à des événements à fréquences rares. C’est la raison pour laquelle les études cliniques de phase III doivent regrouper des millers de volontaires. Il faut rechercher les effets secondaires plus rares. Les humains sont, sans contredit, des éléments à variables multiples et le syndrome de Guillain-Barré, par exemple, est un événement rare (un à deux cas par million, par mois d’observation comme fréquence de base). Posons que les deux tiers de la population canadienne (environ 37 millions d’individus) se fassent vacciner contre l’influenza. Plaçons ensuite une période d’observation post-vaccination de six semaines. Nous pourrions nous attendre, sans surprise, à retrouver jusqu’à 60 cas de Guillain Barré coïncidents (c.-à-d. non causés – mais associés temporellement – par l’acte vaccinal) dans cette population. Or, qui entend parler du syndrome Guillain-Barré en dehors des campagnes de vaccination, alors qu’entre 300 et 700 Canadiens développent cette maladie, la plupart du temps réversible, chaque année? Un autre exemple : la sclérose en plaques, qui a parfois été associée aux vaccins. Au Canada, son incidence de base est de 10 à 20 cas par 100 000 individus par année. Des cas de sclérose en plaques se déclareront nécessairement de façon coïncidente à la vaccination. Nous pourrions faire le même exercice pour l’infarctus, la mort subite et d’autres maladies auto-immunes. Considérant 1) le fait que la population a tendance à se fier aux médias pour obtenir des informations sur des questions de santé publique (41) et 2) que la perception du risque, dans ces circonstances, repose sur l’importance que les médias accordent à un événement et non sur le risque réel (42), une couverture médiatique, ne serait-ce que d’une fraction de ces cas, durant une campagne de vaccination aura nécessairement un lourd impact sur les craintes de la population à l’égard d’un vaccin.
Mais se pourrait-il que le syndrome de Guillain-Barré (SGB) puisse être véritablement associé à la vaccination dans un petit nombre de cas? Les chercheurs se sont honnêtement posé cette question. La réponse en est une de prudence : oui, mais. Nous savons que le SGB est le plus souvent déclenché par une infection bactérienne ou virale. Le virus influenza peut, en théorie du moins, déclencher cette paralysie (43, 44), et nous pourrions assister à une hausse des cas de SGB dans une période de grippe épidémique. Or, en sachant que le système immunitaire est en cause dans le SGB, il est possible que le vaccin soit un déclencheur, tout comme le virus lui-même. En d’autres termes, une hypothèse est qu’une personne qui développerait un SGB en raison du vaccin contre l’influenza, l’aurait possiblement développé si elle avait été naturellement infectée par le virus.
Où on apprend que le système immunitaire n’est pas un sac de billes
Soyons réalistes : si les microbes n’avaient pas été si petits, il y a belle lurette qu’on les aurait vus et Pasteur n’aurait pas fondé la science moderne en les découvrant. Il se serait contenté de stériliser des confitures.
Jean-Baptiste Botul, La métaphysique du mou, 2007
La croyance selon laquelle le bombardement du système immunitaire (des jeunes enfants entre autres) par plusieurs vaccins causerait un épuisement du système en question ne repose sur aucune base scientifique. Le système immunitaire des jeunes enfants, même s’il n’a pas atteint sa pleine maturité, peut théoriquement répondre à un millier de vaccins simultanés (45). Pour bien s’en convaincre, il faut comprendre à quoi réagit notre système de défense. Pour le système immunitaire, une bactérie est une « collection » de plusieurs milliers de protéines différentes (quelques dizaines pour les virus), chacune étant elle-même un assemblage de plusieurs blocs : les épitopes. Que chacun de ces épitopes soit présenté individuellement ou collectivement ne change rien pour les quelques milliers de milliards de lymphocytes de notre corps. Seule une petite fraction de ces lymphocytes sera mobilisée, même si 1000 antigènes venaient à attaquer de front. Que les antigènes soient présents dans une bactérie ou un virus ou dans un vaccin n’y change rien non plus : les lymphocytes ne voient pas l’acte vaccinal, mais s’intéressent à ce que contient le vaccin.
Voici un élément qui devrait rassurer encore plus. Avec l’avènement des nouvelles technologies, la majorité des vaccins ne contient plus les microorganismes entiers, mais des fractions purifiées des pathogènes ou encore l’instruction de l’ARNm (Pfizer et Moderna). Alors que dans les années 1980, on pouvait estimer qu’il y avait plus de 3 000 antigènes différents dans sept vaccins destinés aux enfants, on peut compter aujourd’hui moins de 200 antigènes dans 14 vaccins (46). Tout se réduit donc au nombre (une addition purement arithmétique) de vaccins, et non plus à la charge immunologique à laquelle doit réagir un enfant (ou un adulte).
Le nombre de vaccins, donc, est-il un problème?
Pas davantage.
Un enfant est en moyenne sous le feu de quatre à six infections virales chaque année. C’est sans compter les antigènes qu’il rencontre – et contre lesquels il réagit – dans son alimentation et dans ce qu’il respire. Je ne compte même pas les quelque 800 espèces bactériennes de la cavité buccale qui peuvent aussi solliciter le système immunitaire. Qu’est-ce qu’une dizaine de vaccins de plus dans cet océan antigénique? Alors, qu’est-ce qui distingue tant un vaccin d’un virus?
Les vaccins sont injectés?
Encore une fois, pour le système immunitaire, il n’y a pas de différence.
Alors, le volume en millilitres du vaccin contenu dans la seringue?
On en injecterait le double que le système n’en serait pas plus épuisé (mais ça serait peut-être plus douloureux sur l’épaule). Une juste quantité d’antigènes est importante pour stimuler adéquatement le système, mais les risques de le submerger ne tiennent pas la route. Les études démontrent clairement que les enfants vaccinés ne sont pas plus vulnérables aux infections pour lesquelles il n’y a pas de vaccin, comparativement aux enfants non vaccinés (47). En revanche, les enfants non vaccinés sont nettement plus vulnérables aux infections que les vaccins peuvent prévenir.
Conclusion
Convaincre l’opinion publique est un vaste chantier où les acquis sont en constante réfection. Ceci ne devrait pas nous surprendre, ni d’ailleurs nous décevoir. Il est bon que nos convictions scientifiques soient chahutées de temps en temps, ne serait-ce que pour éviter la fossilisation du savoir – véritable obstacle au progrès – et nous faire dégringoler de nos tours d’ivoire où nous pouvons avoir tendance à nous scléroser. Un des grands objectifs des campagnes d’immunisation est d’atteindre une immunité collective, c’est-à-dire du plus grand nombre (48, 49). De cette façon, même si une proportion de la population décide de ne pas se faire vacciner, elle profitera de la couverture vaccinale collective. Les non-participants en tireront donc les bénéfices sans avoir participé aux inconvénients. Sans poser de jugement, puisqu’il peut y avoir des raisons légitimes de ne pas se faire vacciner, le phénomène est reconnu dans la dynamique des populations (animaux supérieurs, insectes et même bactéries) sous le terme de «tricheur» (50, 51, 52).
Pour obtenir cette immunité collective, il faut compter sur la collectivité.
Composer avec l’opinion publique devient incontournable lorsque cette immunité doit s’obtenir par une intervention directe sur les individus. Mais qu’est-ce que l’opinion publique et qu’est-ce qui la pétrit? Une opinion qui est de «notoriété publique» émane, à bien y regarder, de quelques personnes qui l’ont admise ou avancée, et qu’on a eu la bienveillance de croire qu’elles l’avaient examiné à fond et de façon experte. D’autres individus se sont mis également à adopter cette opinion et, ensuite, un grand nombre de personnes se sont fiées à eux. Lorsque le nombre des «croyants» devient suffisamment grand, les suivants pensent que l’opinion n’a pu être obtenue que grâce à la justesse de ses fondements (53). Il devient dès lors difficile, voire impossible, de déboulonner certains mythes sans encourir les foudres des cerbères de l’opinion généralement admise (54). Je demeure profondément convaincu de la nécessité des campagnes de vaccination. Cette conviction me vient de mon indécrottable foi en la science, à ma formation en immunologie et au fait que la vaccination est une façon proactive de tirer profit de deux systèmes pour combattre les infections : l’intelligence humaine et notre système immunitaire. Ma confiance dans la vaccination est aussi portée par le processus d’examen par les pairs, auquel sont soumises les découvertes scientifiques. Celui-ci n’est pas parfait, certes – des Wakefield et des Geier se faufilent parfois entre ses mailles – mais il constitue encore le meilleur rempart que nous ayons contre les assauts de l’empirisme et de la malhonnêteté. Ma confiance n’est toutefois pas aveugle; je participe, modestement soit, mais le plus rigoureusement possible au processus d’examen des idées non seulement nouvelles, mais aussi de celles qu’il faut parfois débarrasser des poussières que le temps a déposées.
À ma soeur qui se scandalisait que mon regard se porte sur les dernières lignes des livres afin d’en connaître la fin avant d’en lire la première page, je dirai que le débat sur la vaccination est un livre dont on connaît les premières pages, mais dont le dénouement restera insaisissable puisqu’il n’a pas de fin.
3- Radio-Canada. Enquête. Le virus de la peur. http://www. radio-canada.ca/emissions/enquete/2009 2010/Reportage. asp?idDoc=95287&autoPlay=http://www.radio-canada.ca/ Medianet/2009/CBFT/Enquete200911052000.asx,%20http:// http://www.radio canada.ca/Medianet/2009/CBFT/Enquete200911052016.as
4- Guylaine Lanctôt. La mafia médicale, Éditions Voici la clé inc. 1994
5- Barbeau J. Le Dr Lanctôt répète de bien vieilles inepties remâchées depuis des années. La Presse. B3. 11 janvier 1995.
6- Le blogue de Me Jean-Pierre Joseph. Vaccins, mais alors on nous aurait menti? http://avocats.fr/space/jean pierre.joseph/ content/vaccins–mais-alors-on-nous-aurait-menti–_686CE59CCD9s3-4513-B4C3-450158F332D6.
11- Blaylock RL. A possible central mechanism in autism spectrum disorders, part 1. Altern Ther Health Med. 2008; 14 : 46-53.
12- Blaylock RL. Vaccine Safety Manual for Concerned Families and Health Practitioners. New Atlantean Press. 2008. 560 pages.
13- Blaylock RL. Health and Nutrition Secrets: That Can Save Your Life: Harness Your Body’s Natural Healing Powers. Health Press (NM). 2006. 540 pages.
14- Moulden A, MD, Ph. D. All vaccinations are causing impaired blood flow (Ischemia), chronic illness, disease and death for us all… proven. http://tobefree.wordpress.com/2009/08/31/ andrew-moulden-md-phd-all-vaccinations are-causingimpaired- blood-flow-ischemia-chronic-illness-disease-anddeath- for-us-all%e2%80%a6proven/.
15- Morrison D. 2012 and counting, a NASA scientist answers the top 20 questions about 2012. Skeptic. 2009, 15(2): 47-53.
16- Aristote. Réfutations sophistiques. Librairie philosophique J. Vrin. Paris, 2007, p. 37.
17- Wakefield AJ, Murch SH, Anthony A, Linnell J, Casson DM, Malik M, Berelowitz M, Dhillon AP, Thomson MA, Harvey P, Valentine A, Davies SE, Walker-Smith JA. Ileal-lymphoidnodular hyperplasia, non-specific colitis, and pervasive developmental disorder in children. The Lancet, 1998; 351 : 637-641.
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37- Santé Canada. Autorisation de la vente du vaccin Arepanrix H1N1 et activités post-commercialisation – Pour les professionnels de la santé. http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/medeff/ advisoriesavis/prof/_2009/arepanrix_h1n1_hpc-cps-fra.php
38- Black S, Eskola J, Siegrist CA, Halsey N, MacDonald N, Law B, Miller E, Andrews N, Stowe J, Salmon D, Vannice K, Izurieta HS, Akhtar A, Gold M, Oselka G, Zuber P, Pfeifer D, Vellozzi C. Importance of background rates of disease in assessment of vaccine safety during mass immunisation with pandemic H1N1 influenza vaccines. http://www.thelancet.com Published online October 31, 2009 DOI:10.1016/S0140-6736(09)61877-8.
39- H1N1 : Novartis reconnaît que son vaccin provoque des effets secondaires graves voire mortels – Les laboratoires pharmaceutiques « chassent » les vaccins juteux. http://panier-de-crabes. over-blog.com/article-37034843.html
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42- Frost K, Frank E, Maibach E. Relative Risk in the News Media: A Quantification of Misrepresentation. Am. J. Pub. Health. 1997; 87 : 842-845.
43- Simpsona BS, Rajabally YA . Sensori-motor Guillain-Barré syndrome with anti-GD1b antibodies following influenza A infection. Eur. J. Neurol. 2009; 16 : e81.
45- Offit PA, Quarles J, Gerber MA, et al. Addressing parents’ concerns: do multiple vaccines overwhelm or weaken the infant’s immune system? Pediatrics. 2002; 109 : 124-9.
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51- West SA, Griffin AS, Gardner A. Social semantics: altruism, cooperation, mutualism, strong reciprocity and group selection. J. Evol. Biol. 2007; 20, 415-432.
52- Sandoz KM, Mitzimberg SM, Schuster M. Social cheating in Pseudomonas aeruginosa quorum sensing. Proc Natl Acad Sci USA. 2007; 104 : 15876-81.
53- Schoppenhauer A. L’art d’avoir toujours raison. Éditions Mille et une nuits, p. 51.
54- Gross L. A Broken Trust: Lessons from the Vaccine–Autism Wars. PLoS Biology. May 2009; 7 (5) e1000114.
Jean Barbeau, microbiologiste, Responsable de la Prévention et du contrôle des infections. Faculté de médecine dentaire, Université de Montréal.
Pour ceux qui ne connaissent pas cet épisode épique de la mythologie grecque je vous résume la chose. Ulysse, Roi d’Ithaque, prend la décision, fort rusée, mais quoique tardive, de faire pénétrer ses guerriers grecs dans la ville de Troie assiégée en vain depuis dix ans. Il cache ses guerriers dans un très grand cheval de bois, qu’il offre aux Troyens. Les Troyens, un peu bêtement, acceptent l’offrande et tirent le cheval dans leur ville. Erreur. L’ennemi est dans la ville. Les guerriers sortent du cheval et causent la perte des troyens. On est sur le bout de nos chaises.
J’utiliserai cette analogie imparfaite (couplée à l’analogie de la tarte au citron) pour expliquer les vaccins anti-COVID basés sur les vecteurs adénovirus : Johnson & Johnson, AstraZeneca et Sputnik V (Russe). Cette technologie est d’une grande élégance, tout comme l’est celle de l’ARNm de Pfizer-BioNteck et Moderna. Tous ces vaccins sont des petites merveilles de la science, et leur efficacité contre la COVID est similaire.
Que ce soit la méthode ARNm ou vecteur adénovirus, l’objectif est le même. Il faut présenter à la personne vaccinée un morceau critique de SARS-CoV-2, pour qu’elle puisse produire des anticorps qui vont ultimement attaquer le véritable virus lui passe par les narines ou les poumons. Ce morceau critique du virus est la protéine S (spike), soit la couronne du virus qui s’accroche à nos cellules par leur récepteur ACE2. Les quatre vaccins disponibles utilisent la protéine S comme cible.
Il faut court-circuiter la protéine S pour l’empêcher de s’accrocher à nos cellules. C’est le but de tous ces vaccins. On n’a pas besoin du virus entier; juste la recette pour la protéine S.
Pour la méthode des vecteurs adénovirus nous allons construire un cheval de Troie pour introduire la protéine S (ou la recette pour la faire) dans nos cellules qui vont initier la réponse immunitaire. Dans les cas de Johnson et Johnson et AstraZeneca, les chevals de Troie sont des virus appelés adénovirus. Pour Johnson & Johnson, l’adénovirus est d’ « origine » humaine et pour AstraZeneca, il « provient » du singe.
Quoi? Vous dites-vous. On va utiliser un autre virus pour produire des anticorps contre le virus COVID?
En plein ça! Et ça va marcher divinement (pour rassurer les évèques).
La construction du cheval de Troie
Les adénovirus (il y en a plusieurs sortes) sont, entre autres responsables d’infections asymptomatiques chez les animaux (dont l’humain et le singe). Ce sont globalement des virus bénins (pensons au rhume). Nous avons tous été en contact avec ces virus dans notre vie. Ce que les chercheurs vont faire c’est de choisir un adénovirus et le rendre incapable de causer une infection par une série de manipulations connues depuis des années et utilisées dans d’autres vaccins. Les chercheurs vont trafiquer l’adénovirus qui n’y verra que du feu.
L’adénovirus ainsi inactivé va nous servir de cheval de bois, relativement inerte pour transporter ce qu’il faut pour fabriquer la protéine S. Sauf que, suivant notre analogie de départ, dans ce cas ce sont les troyens (nous) qui vont gagner et non l’armée d’Ulysse (les adénovirus trafiqués). La ruse se retourne comme une chaussette.
Tous les virus ont un code génétique. Le virus SARS-CoV-2 a un code composé d’ARN et pour l’adénovirus le code est composé d’ADN (comme dans nos cellules). Le principe de tous les virus c’est d’utiliser la machinerie de nos cellules pour assembler beaucoup d’autres virus à partir des instructions contenues dans leur matériel génétique.
La tarte au citron au poivre de Cayenne
Nous allons donc introduire les instructions de la protéine S du coronavirus dans le code génétique de l’adénovirus qui, en temps normal n’en produit pas. J’utiliserai cette autre analogie : C’est l’équivalent de subtilement donner l’instruction de rajouter une cuillérée de poivre de Cayenne dans une recette de gâteau au citron. Mais Chut!
Lors de la vaccination, le vaccinateur va injecter une grande quantité d’adénovirus trafiqués dans votre épaule. Vous n’en saurez rien sur le coup (maintenant oui) mais l’adénovirus va faire ce que tous les virus font en temps normal : il va entrer dans quelques-unes de vos cellules. Il va ensuite libérer son ADN pour, espère-t-il, produire une forte progéniture. Mais nous ne sommes pas en temps normal rappelez-vous. L’adénovirus a été zappé; il ne peut se multiplier.
Mais l’adénovirus transporte l’instruction pour la cuillérée de poivre de Cayenne (la protéine S de SARS-CoV-2).
Ce que vos cellules vont faire c’est de fabriquer une tarte au citron couci-couça (morceaux d’adénovirus) avec du poivre de Cayenne (protéine S). Et votre système immunitaire qui n’aime ni la tarte au citron, ni le poivre de Cayenne, va réagir contre tout, dont la protéine S du coronavirus.
La figure suivante est tirée de l’article du New York Times « How the Johnson & Johnson vaccine works«
L’objectif est atteint. Votre système produira des anticorps vous protégeant contre le virus de la COVID que nous avons introduit par ruse dans un adénovirus.
Ce qu’il faut maintenant savoir pour comprendre la position de la position branlante de la Conférence des évêques catholiques du Canada, c’est la méthode qu’on utilise pour produire les vecteurs (adénovirus). Pour produire suffisamment d’adénovirus, ils faut en faire une culture abondante. Or, nous le savons maintenant, tous les virus ont besoin de cellules pour se multiplier. Tout le monde connait les vaccins contre la grippe (influenza). Pour ces vaccins, on cultive les virus dans des œufs de poulet. Par exemple, pour fabriquer des vaccins contre la grippe, la pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK) requièrent quelque 360 000 œufs par jour pendant la saison de production des vaccins qui débute en mars.
Pour les adénovirus, les œufs de poulet ne fonctionnent pas. Chaque famille de virus a ses caprices. Nous allons utiliser des cellules humaines cultivées en laboratoire comme terreau de jardinage.
C’est là que les évêques sont plus ou moins enthousiastes. Ils auraient dû mieux s’informer.
En recherche, les cellules pour les cultures sont appelées des lignées cellulaires. J’en ai utilisées dans mon doctorat. Il existe des centaines de lignées cellulaires en recherche. Je ne vais pas entrer dans les détails techniques, mais on produit une lignée à partir de tissus parfois prélevés de tissus humains, par exemple, des cellules provenant de tumeurs excisées ou de tissus fœtaux. Certaines lignées cellulaires encore utilisées aujourd’hui, dérivent de quelques cellules prélevées en 1950 ou 1973. Seules les cellules sont utilisées et non les tissus.
Donc, les adénovirus sont jardinés sur des cellules humaines en culture. Ce qui suit est crucial pour faire la part des choses. Avant de produire les vaccins, les virus sont purifiés et nettoyés par centrifugation pour enlever les cellules dont on n’a plus besoin. Il n’y a pas de cellules et encore moins de tissus humains dans les vaccins de Johnson & Johnson, AstraZeneca ou même Sputnik V.
Mise en garde : dans le mythe d’Ulysse et le cheval de Troie, il n’y a aucune mention de tarte au citron. Ne soyez pas surpris.