Le système immunitaire, la COVID, la vitamine D et le Néandertalien qui sommeille en nous.

Jean Barbeau, microbiologiste, responsable de la prévention et du contrôle des infections, Faculté de médecine dentaire, Université de Montréal.

Toute est dans toute #1 Le brassage génétique dans les buissons préhistoriques;

ne jamais se mettre dans un buisson ...
Chaste buisson

Commençons par une petite histoire lubrique. Il y a environ 45,000 ans un Néandertalien et un humain moderne (Sapiens) se sont lancés dans un flirt qui fut pour le moins productif. À travers moult borborygmes et grognements plus ou moins chastes, ce qui fut une plaisante banalité, sans doute répétée, à cette époque fort lointaine, nous a peut-être conduit au couvre-feu actuel à cause de la COVID.

Je blague à peine. Mais je dois m’expliquer pour nous conduire éventuellement, main dans la main, à la vitamine D et aux vaccins, en passant par les soins intensifs.

En bref, le même brassage génétique qui assemble un enfant aujourd’hui (avec ses qualités et ses défauts), a eu lieu il y a des dizaines de milliers d’années pour construire la descendance de l’Homme de sapiens d’aujourd’hui : vous, moi, Donald Trump.

Environ 2% de notre génome est imprégné de quelques gènes typiquement Néandertaliens (et Denisoviens).  Pourquoi seulement 2%? Parce qu’il y avait moins de néandertaliens il y a 45,000 ans que d’humains « modernes ».  Les quelques amusements dans les buissons entre cousins-cousines ont été dilués par notre prolifique espèce au fil des millénaires.  Or, dans ce 2% qui nous est resté, se trouvent des gènes qui auront un impact sur notre défense contre la COVID-19, 45,000 ans plus tard.

Je n’ai pas la place pour entrer dans les détails terriblement complexes qui demanderaient que je vous raconte une fort longue, quoique passionnante histoire. Mais, une partie de ces gènes peut nous prédisposer aux formes graves de la COVID, alors que d’autres, au nombre de trois, nous protègent des virus à ARN dont les coronavirus (entre autres). Mais les populations de l’Afrique subsaharienne n’ont pas les variants Néandertaliens de ces gènes. Pourquoi cette apparente iniquité? Parce que les Sapiens (nos ancêtres) avaient quitté l’Afrique il y a quelques 100,000 ans pour s’étendre un peu partout en Eurasie. L’Homme de Neandertal n’était pas en Afrique.

Certains pathogènes, qui n’étaient sans doute pas présents en Afrique, tourmentaient les Néandertaliens qui avaient acquit et sélectionné des gènes aptes à assurer leur défense. Nous en avons profité de la façon que vous connaissez maintenant.

Toute est dans toute #2 Une immunité à deux bras;

J’arrive maintenant au système immunitaire. Et je vais faire ça simple. Il y a grosso modo deux bras au système immunitaire : l’immunité innée et l’immunité adaptative. L’immunité innée agit dans les minutes ou les heures qui suivent une infection, l’immunité adaptative entre en jeu plusieurs jours plus tard (entre 1 à 3 semaines… environ). Vous seriez assis devant moi que ça me prendrait environ 90 heures pour entrer dans quelques détails jouissifs, et un baccalauréat entier serait nécessaire pour le « fine tuning » (dont une grande partie m’échappe, parce que « toute a beau être dans toute », on n’est pas expert en toute, qu’on se le tienne pour dit).

Mine de rien, je vous prépare à la vitamine D.

Plusieurs allèles (des variants de gènes) hérités de l’homme ou de la femme de Néandertal sont activement impliqués dans l’immunité innée. Or c’est l’immunité innée qui conduit bons nombres de patients COVID aux soins intensifs (en plus des dommages directs du virus). Et si cette immunité peut faire ces ravages, c’est que l’immunité acquise est absente. Or l’immunité acquise, ce sont les anticorps. Les anticorps arrivent un peu tard pour attaquer le virus, et comme il serait dramatique d’avoir à attendre deux semaines pour combattre une infection, il faut compter sur un système rapide et un peu moins raffiné, l’immunité innée.

Je vous prépare donc à la vaccination.

Toute est dans toute #3 L’immunité innée et ses dommages collatéraux;

Pour que l’immunité innée puisse fonctionner, il faut qu’elle sache (du verbe sachoir) reconnaître que le virus SARS-CoV-2 n’a pas sa place dans nos poumons. Il faut donc, en quelque sorte, tâter le virus. L’évolution nous a donc équipé de « tâteux » de virus, qu’on appelle des récepteurs, à la surface de cellules sentinelles spécialisées (macrophages, cellules dendritiques et autres). Quelques tâteux (de la famille des TLR) sont des legs des Néandertaliens (il y en a 3). Il y a aussi d’autres tâteux (aussi au nombre de 3 provenant aussi de nos cousins) qui sont capables de réagir aux virus ARN en passant par une magnifique substance appelée Interféron.

Tous ces joueurs, et plus encore, réagissent à l’infection COVIDienne. Le fait de tâter le virus déclenche des signaux de panique cellulaire. Il y a des dizaines de ces signaux, appelés des médiateurs ou, pour bien paraître, des cytokines (en anglais on parle de cytokine Storm). L’interféron a un rôle central dans la défense contre les virus, et cette molécule de défense doit arriver tôt dans l’infection. Elle participe à l’élaboration d’une fantastique cascade d’événements que vous ne voyez pas mais que vous ressentez (fièvre, fatigue, courbatures, perte d’appétit etc). Tout dépendant d’une foule d’autres facteurs (génétique, âge, quantité de virus etc.) et parfois du fait que l’interféron arrive trop tard, certaines personnes vont développer une réponse immunitaire innée carrément indécente et disproportionnée à l’infection. Ce n’est pas que le système immunitaire ne fonctionne pas assez, c’est qu’il s’emballe.

Vous êtes (j’espère que non) à l’urgence et vous passez une batterie des tests. Les résultats hématologiques détectent de hauts niveaux de certaines cytokines ou de cellules inflammatoires, on peut savoir que vous avez un risque d’aller séjourner aux soins intensifs.  Quelles molécules, quelles cellules?  C’est complexe mais voici une figure qui schématise la chose. C’est outrageusement simplifié.

Alvéoles pulmonaires. a) inflammation modérée; b) forme sévère de la COVID. Les différentes cellules et médiateurs inflammatoires (cytokines) sont représentés. À droite, les dommages collatéraux conduisent les patients aux urgences ou pire.

En gros, une tempête inflammatoire peut se développer. Et cette tempête inflammatoire ouvre les écluses des vaisseaux sanguins qui déversent beaucoup de liquide dans les alvéoles pulmonaires. Et l’oxygène se noie sans parvenir à faire respirer vos cellules et votre corps. Puis d’autres cellules du système immunitaire s’amènent avec la bonne intention de vous défendre. Mais elles causent des embouteillages et des carambolages monstres qui empêchent le sang de circuler adéquatement et forment des caillots.

Voilà les dommages collatéraux de la nécessaire immunité innée dont une partie nous vient du Néandertalien. Heureusement, dans la grande majorité des cas de COVID on ne se rend pas à cette extrémité. C’est entre autre aussi, grâce à cette providentielle partie de jambes-en-l’air d’il y a 45,000 ans, hors de la savane africaine, qui nous a permis de mieux tâter les virus ARN.

Je me dois d’insister sur le fait que l‘immunité innée et l’inflammation sont nécessaires. Mais leur mise en action demande un sacré dosage: trop peu et les pathogènes en profitent, trop généreusement et ce sont vos tissus (et vous) qui en pâtissent. D’un côté comme de l’autre, une des conséquences de l’immunité innée est, qu’en endommageant les tissus pulmonaires pour débusquer le virus, elle crée des débris de cellules et de tissus auxquels les virus restent ancrés. Vous n’expulsez donc pas des virus isolés mais des gouttelettes, des aérosols et des particules de tailles variables mais beaucoup plus grosses qu’un virus isolé. Et vous devenez infectieux pour les autres de façon accessoire.

Ce qui m’amène à la vitamine D.

Toute est dans toute #4 La vitamine D et la fortification du système immunitaire;

On m’a régulièrement amené cette évidence à crever les yeux (elles le sont toutes) que nos très lointains ancêtres, pieds nus dans la savane, à manger des baies et boire de l’ambroisie en prenant des bains de soleil n’avaient pas besoin de vaccins.

Et c’est un peu là que la vitamine D fait sont entrée dans toute cette histoire.  Est-ce que la vitamine D fortifie le système immunitaire?  La question est légitime et sérieuse et n’est pas dépourvue de bases scientifiques. Des recherches ont donc été faites en lien avec la COVID. Les résultats ne sont pas très concluants (voir ici l’excellent article de Jean-François Cliche du Soleil). En bref, la vitamine D ne va peut-être pas nuire, mais elle ne va peut-être pas aider non plus.  L’immunologiste en moi pose des questions : quel bras de la réponse immunitaire voulez-vous fortifier (si c’est possible)?.  Voulez-vous stimuler l’immunité innée? et, si oui, comment, quelle partie? N’est-elle pas déjà assez forte? Voulez-vous stimuler l’interféron? Que mesure-t-on dans les essais avec la vitamine D? Voulez-vous alternativement stimuler l’immunité acquise? La production d’anticorps?

Or, pour plusieurs personne l’idée est simple : il s’agit de stimuler globalement le système immunitaire! Bon. Or, c’est tout sauf simple, ni même suffisant par ailleurs. Évidemment, avoir des habitudes saines, bien s’alimenter et éviter le stress chronique ne peut pas nuire au système immunitaire pour combattre les infections. Mais fortifier activement le système immunitaire met en jeu des concepts qu’on ne peut ramener simplement à notre passé préhistorique dépourvu d’aliments transformés.

En fait, fortifier notre système immunitaire passe plus sûrement par son éducation. Et cette éducation découle de notre expérience immunitaire et infectieuse. À chaque défi venant de l’infiniment petit (virus ou bactérie) notre système immunitaire ajoute dans son grand baluchon la mémoire des agents infectieux qui se sont montrés la tête. Que cette mémoire viennent d’une infection naturelle (vécue de façon obligée par nos ancêtres) ou d’un vaccin, le résultat est globalement le même: une mémoire se forme (plus ou moins durable) et notre système gagne en expérience et en effectifs (cellules immunitaires). Globalement, notre système immunitaire ne fait pas de différences entre un morceau de virus et un virus entier et réel: sa réaction est la même.

Or pour boucler la grande boucle, l’immunité innée est dépourvue de mémoire: c’est une réponse « instinctive » déjà prête. Cette immunité nous vient du fond des âges géologiques et précède l’apparition de l’immunité acquise et des anticorps seulement présents chez les vertébrés. L’immunité innée est efficace, mais elle peut mal réagir. Si, pour le virus de la COVID, cette immunité a mal réagit une fois, elle peut mal réagir deux fois. C’est pourquoi l’immunité acquise (les anticorps) est non seulement importante, mais essentielle. Lorsque le virus reviendra, l’immunité innée ne sera pas laissée à elle-même comme la première fois où on s’est fait prendre. Rapidement les anticorps vont pouvoir inactiver le virus ou, du moins en réduire le nombre. En réduisant la charge virale, l’immunité acquise a beaucoup moins de risque de s’emballer comme c’est parfois le cas dans les formes sévères. C’est, entre autres, pour cette raison que les vaccins actuels ont montré une impressionnante efficacité (même avec une seule dose) pour prévenir les formes graves de la maladie, les hospitalisations et les décès.

Portez-vous bien!

Références:

1- Type I Interferon Signaling Is a Common Factor Driving Streptococcus pneumoniae and Influenza A Virus Shedding and Transmission;

2- A genomic region associated with protection against severe COVID-19 is inherited from Neandertals

3- Cytokine storm and COVID-19: a chronicle of pro-inflammatory cytokines

4- Jean-François Cliche. COVID-19 : la vitamine D peut-elle aider?

Sur la question des variants du virus SRAS-CoV-2 et l’introduction des bretelles dans le paysage.

Jean Barbeau, microbiologiste, responsable de la prévention et du contrôle des infections, faculté de médecine dentaire, Université de Montréal.

Pour un microbiologiste, le fait d’apprendre qu’un virus a subi une ou des mutation est- en soi, une banalité. Un taux de génération (division) hyper-rapide va de pair avec des erreurs qui apparaissent et se glissent lorsque les virus répliquent des milliards de fois leur bagage génétique. Ainsi, on a assisté à l’apparition de plusieurs mutations du virus SRAS-CoV-2 depuis un an. Chaque mutation du génome risque de changer un bloc dans l’assemblage des protéines constituants la structure du virus. Changer un bloc pour un autre n’a souvent aucun effet sur la vie du virus. Mais, parfois remplacer un bloc pour un autre bloc rend le virus dysfonctionnel ou, parfois plus compétitif ou plus virulent. Ce sont les effets de ces dernières mutations qu’il faut suivre de plus près. Nous parlerons de variants.

Depuis, le début de la pandémie, il y a eu apparition de milliers de « variants ». Nous en suivons trois en particulier parce qu’ils semblent apporter des avantages compétitifs sur les souches dites originelles ou fondatrices. Il y en aura certainement d’autres mais, dans le tableau qui suit, vous avez les noms des 3 principales. Ces noms sexy font référence aux mutations qui ont affecté la fameuse protéine S du virus. C’est cette protéine que SARS-CoV-2 utilise pour s’accrocher à nos cellules et les infecter. C’est aussi contre cette protéine que nous voulons produire des anticorps.

VariantNom alternatifOrigine
B.1.1.7501Y.V1UK
B.1.351501Y.V2Afrique du sud
P.1501Y.V3Brésil

Afin de bien comprendre la suite, essayons de comprendre ces figures.

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Dans les deux figures ci-haut, les protéines semblent faites d’un assemblage petites billes. Ces billes ce sont tous les blocs qui assemblent la protéine. Dans la figure de gauche vous avez en rouge la protéine S du virus (le virus est en haut). Sur la même figure, en bas, vous avez une cellule humaine avec le récepteur ACE2 (en bleu) sur lequel la protéine S va malheureusement (pour nous) s’accrocher pour nous infecter.

Dans la figure de droite vous avez ce que les vaccins visent comme effet: empêcher la protéine S d’épouser le récepteur ACE2. Les deux objets en forme de Y de chaque côté de la protéine S, ce sont vos anticorps (provenant de la vaccination ou d’une infection naturelle). En guise n’analogie, l’anticorps se face au récepteur ACE2 comme une serrure et une clé. Changez la clé et vous n’ouvrirez plus la serrure. C’est une des menaces potentielles des variants.

Comme nous l’avons vu, le problème avec les variants est que des blocs ont été changés dans la protéine S.

Les variants sont-ils plus infectieux ou plus virulents?

Les publications sur cette question se sont multipliées à un rythme fou. Avec raison. Un point crucial dans une pandémie est de prévoir la trajectoire que va prendre le nombre de cas (en fonction du fameux Rt), qui va avoir un impacts plusieurs jours plus tard sur les hospitalisations et qui aura, encore plus tard, un impact sur les décès. Les hospitalisations et les décès sont toujours une image de ce qui s’est produit quelques semaines plus tôt. Il y a un décalage.

Globalement, ce que nous disent les études avec un certain degré de certitude, c’est que le variant britannique B.1.1.7 se transmet plus efficacement que la « souche originelle ». On parle d’environ une fois et demi plus contagieux (1.5 X). Ça ne semble pas beaucoup, mais sur des milliers ou des millions de cas, ça peut faire une très grosse différence. Un peu comme si au lieu d’être à 1 le Rt (nombre de reproduction effectif) était à 1.5. À 1, le nombre de cas est stable, à 1.5 on retourne en exponentiel. Au Québec, et depuis la mi-janvier le Rt est en-dessous de 1. Nous sommes en contrôle avec la souche « originelle ». Mais la proportion de B.1.1.7 augmente: il faut surveiller, être prudent, et il faut modéliser pour faire des « prédictions ».

Or, les modélisations sont des… modèles. Des modèles de ce qui pourrait arriver: ce ne sont pas des boules de Crystal. Les épidémiologistes génèrent des centaines de modèles, basés sur des données actuelles et passées et sur des hypothèses, qui vont des scénarios optimistes aux scénarios catastrophes. En général, les médias traditionnels ou sociaux vont présenter les scénarios catastrophes… qui peuvent théoriquement arriver. Mais je n’ai pas vu de catastrophe encore dans les pays où ces variants circulent de façon importante.

Au Royaume Uni, où le B.1.1.7 domine les courbes de la COVID sont toujours à la baisse. Il y a bien sûr une vaccination plus avancée que chez nous (Canada), mais la vaccination n’explique pas tout. Et il y a Israël, aussi en guerre contre le B.1.1.7 dont les courbes sont aussi en chute. J’y reviens plus bas.

Qu’en est-il des variants Sud-Africains et Brésiliens? On n’est pas encore convaincu qu’ils sont plus transmissibles que la souche « originelle ».

Est-ce que ces variants sont plus virulents? Premièrement il faut distinguer infectieux (ou transmissible) et virulent. Ce n’est pas la même chose, et il se dit beaucoup de bêtises à ce sujet. Un virus peut être hautement infectieux et transmissible et n’avoir soit aucune virulence, ou une faible virulence. Le simple rhume est fort transmissible, mais il n’est pas très virulent. Pour ce qui est de la COVID, les « études » ne semblent pas indiquer une virulence plus grande pour les 3 variants. Il y a peut-être une tendance pour le B.1.1.7, mais ça reste à confirmer.

Évidemment, si la virulence est calculée en proportions de décès ou d’hospitalisation, un variant qui se sera plus efficacement transmissible causera un plus grand nombre de décès ou d’hospitalisation que la souche originelle pour des raisons bêtement mathématiques.

Est-ce que les vaccins fonctionnent contre les variants britanniques, sud-africains et brésiliens?

Les bonnes nouvelles sont que les vaccins Pfizer/BioNtech, Moderna et AstraZeneca fonctionnent très bien contre le variant britannique (B.1.1.7) qui se répand un peu partout. L’exemple le plus satisfaisant est Israël. Israël a commencé la vaccination de sa population le 19 janvier dernier avec le vaccin Pfizer/BioNtech. À la mi-février, près de 50% de la population a reçu au moins une dose de ce vaccin. Or, c’est le variant B.1.1.7 qui prédomine en Israël. Et les courbes sont en chute: moins de cas, moins d’hospitalisations, moins de décès. Globalement, l’efficacité de la capitation est de 94% sur le terrain.

Proportion de la population vaccinée dans le monde en date du 10 février
Image
Chute des hospitalisations en Israël

Évidemment, la vaccination n’est sans doute pas responsable à elle seule de cette baisse. Un certain niveau de mesures sanitaires est en vigueur en Israël.

On peut s’attendre à ce que les autres vaccins rejoignent ce succès.

Le problème plus préoccupant nous vient du variant sud-africain (B.1.351). Les changements de blocs qu’ont causé les mutations ont modifié l’ajustement de la clé (l’anticorps) dans la serrure (la protéine S, altérée par les mutations). Les anticorps stimulés par les vaccins sont moins efficaces. La campagne de vaccination avec le vaccin AstraZeneca a été interrompu, semble-t-il indéfiniment à cause de cette préoccupation en Afrique-du-Sud. Dernièrement la compagnie PfizerBioNtech a mentionné que son vaccin perd de l’efficacité contre le variant B.1.351. La perte est significative avec des tests en laboratoire, mais l’effet sur le terrain restera à vérifier. Une perte d’efficacité peut quand-même assurer une protection contre les formes sévères de la COVID.

La science bouge vite!

Oui, mais qu’en est-il de cette fameuse histoire de double masques?

Ah, la question des masques! On s’y perd, on s’y embourbe on les politise, on les déteste ou on se prosterne devant eux. Mais on ne peut les ignorer: ils nous rebondissent au visage à chaque jour.

Premier élément très important: Un variant n’est ni plus gros, ni plus petit que le coronavirus originel. Les variants ne s’accrochent pas plus fort au masque, ils ne creusent pas dans les filtres et ne les contournent pas. En d’autres mots, l’efficacité du masque ne dépend pas du fait que vous faites face au B.1.1.7, au B.1.135 ou à la souche de Wuhan.

Pourquoi le ministre Dubé est-il arrivé doublement masqué alors? Parce que c’est son choix. Le double masque est arrivé dans la foulée d’une étude en laboratoire des CDCs des États-Unis en févriers. Cette étude démontre que, dans des conditions de laboratoire, deux masques valent mieux qu’un. Je dirais que c’est le contraire qui aurait été surprenant. Premièrement il y la question de mettre un filtre par-dessus un autre: mettre des bretelles et une ceinture: le pantalon a moins de chance de nous tomber aux genoux. Deuxièmement, et c’est un des objectifs des CDC, le deuxième masque resserre mieux le premier masque autour du visage. Il y a globalement un meilleur scellement.

Ces deux points sont valables. Par contre, rappelez-vous que l’étude a été fait dans des conditions, dirais-je, extrêmes de laboratoire. Pour revenir à mon analogie, si en situation de laboratoire je demande à quelqu’un de tirer vigoureusement sur votre pantalon, le fait d’avoir des bretelles ET une ceinture vous donnera une meilleure assurance qu’avec une ceinture seule ou des bretelles élastiques.

Est-ce que dans la vrai vie, le fait de porter deux masques changera l’allure des courbes épidémiologiques? Impossible de le savoir maintenant, et je gagerais gros qu’il sera impossible de la savoir plus tard. Trop de facteurs interviennent en même temps: vaccins, mesures sanitaires qui changent, saisonnalité du virus, immunité collective.

La suggestion des CDC coïncide avec l’arrivée des variants, dont le B.1.1.7 qui est plus transmissible. Or, le B.1.1.7 est peut-être plus transmissible parce qu’il est libéré en plus grande quantité par les personnes infectées. C’est du moins une bonne hypothèse. Comme les masques fonctionnent sur la réduction du nombre de particules qui passent, plus il a de particules plus l’efficacité de la filtration doit, théoriquement augmenter. Mais ça laisse de côté le spectre de la taille des particules. En bref, l’étude des CDC ne dit rien sur ce qui se passe sur le terrain.

De plus, les masques sont des appareils inconfortables. Ils ne sont pas si facile à porter: je m’empêtre facilement dans leur manipulation dans la vie de tous les jours. Ils sont nécessaires, mais ils sont un embêtement. Je crois que de demander d’en porter deux va créer 1) de la confusion, comme si subitement un masque seul n’est plus assez et 2) de la frustration dans la manipulation: Quel masque place-t-on sur l’autre? À quelle fréquence les changer? etc.

Je n’ai rien contre le double masque, mais je n’ai pas grand-chose pour non plus.

Portez-vous bien!

Les figures des protéines S ont été tirées de https://www.uwec.edu/news/news/chemistry-faculty-publish-research-about-covid-19-4298/

Remerciements: Je me dois de remercier tous ceux et celles avec qui j’ai des discussions enrichissantes, dont ma collègue Caroline Duchaine. Je remercie aussi Eric Topol (médecin-scientifique, auteur, éditeur) de mon fil twitter qui est une source intarissable d’études et de figures.

Sur la question des masques dans les cliniques dentaires en période COVID

Jean Barbeau, microbiologiste, responsable de la prévention et du contrôle des infections, Faculté de Médecine Dentaire, Université de Montréal.

La question des masques a suscité de la confusion et des frustrations tout au long de la pandémie. Le présent texte vise à apporter des éclaircissements et, j’espère, quelques réponses.

Les facteurs de risque: mettre les choses en perspective

Vous n’êtes ni une clinique désignée COVID, ni une zone chaude (établissement avec des cas confirmés). Bien qu’il soit possible que vous traitiez un patient en incubation de la maladie sans le savoir dans une semaine, la probabilité est faible.  

L’INSPQ publie les chiffres de cas à chaque jour, et il semble donc y en avoir beaucoup. Toutefois, le taux de positifs sur le nombre de tests quotidiens est faible : environ 4%. Or, ceux qui se font tester ont de bonnes raisons d’être testés (symptômes, contacts épidémiologiques, facteurs de risques etc.).  Si on faisait passer des tests aléatoires chez des personnes sans symptômes on trouverait probablement moins de 1 personne positive sur 1000 : < 0.1%.  C’est le cas de vos cliniques, et encore! Vous avez un questionnaire de triage.

Bien qu’une personne sans symptôme puisse transmettre le virus, les données indiquent que la probabilité « individuelle » de transmission est faible. Les personnes symptomatiques sont nettement les plus à risque de transmettre le virus. C’est une question de charge virale et d’expulsion de particules infectieuses (toux, éternuements).

Pour transmettre la maladie, il faut une charge virale suffisante (dose infectieuse).  Or, plus les particules infectieuses (des gouttelettes aux aérosols) sont diluées, plus le risque de recevoir une dose infectieuse est faible. 1- les mouvements de l’air dans une salle clinique dispersent et diluent les particules en suspension; 2- les changements d’air et/ou les filtres apportent des dilutions supplémentaires; 3- le rince-bouche pré-procédures, la succion et la digue, réduisent considérablement la quantité de particules infectieuses dans l’air.

Les modèles mathématiques sur l’émission des doses potentiellement infectieuses, tiennent compte du fait que même un patient COVID positif n’expulsera pas de particules infectieuses en continu. Il a été évalué qu‘un patient infectieux libère moins d’une dose infectieuse à l’heure, et plusieurs facteurs interviennent.

Depuis la « réouverture » des cliniques dentaires, des milliers de traitements avec production d’aérosols ont eu lieu.  Il est sûr que des patients asymptomatiques ou en incubation (sans le savoir) ont été traités.  Les cliniques dentaires ne sont tout simplement pas des lieux d’éclosion de la COVID.  Nous avons traité plusieurs centaines de patients à la faculté de l’UdeM avec des étudiants parfois inexpérimentés : aucune éclosion.

Pour les raisons précédentes, la charge virale dans les gouttelettes/aérosols dans vos cliniques est au pire très faible.  Une accumulation de particules infectieuses en suspension est improbable.

Ces points m’amènent aux masques et la question de filtration

Je ne m’aventure pas dans les considérations politiques et toucherai au minimum nécessaire la question réglementaire sur les masques. 

La question du KN95

Si un comité d’experts (comme le groupe de travail du MSSS sur les services dentaires en contexte de pandémie COVID-19, ou le CINQ) joui d’une certaine flexibilité dans l’interprétation de la littérature scientifique et l’écriture de directives, les organismes de règlementation (SAT, CNESST, CSA) doivent se conformer à des règles, classifications et définitions strictes, qu’ils ne vont pas réinterpréter sans y mettre beaucoup de ressources administratives.  On l’a vu avec le rejet du masque N99 de la compagnie Dorma, qui est maintenant accepté.

La grande valse-hésitation sur les KN95 en découle.  C’était tout sauf une danse en ligne.

Une fort grande partie de cette danse chaotique provient de la définition stricte de ce qu’est un APR : Appareil de Protection Respiratoire. Un N95, un N99 et théoriquement un KN95 sont des APR. Mais pour entrer dans ce club sélect, ces appareils doivent assurer une étanchéité « parfaite ». En d’autre mots, TOUT l’air inspiré DOIT passer à travers le filtre. C’est pourquoi les APR doivent subir un test d’ajustement (fit-test) sinon ils sont « out » pour les organismes de règlementation. Pour la CNESST, un APR non fit-testé est considéré comme un masque de procédure. Ces masques doivent aussi être certifiables et certifiés : aucun doute n’est toléré sur les contrefaçons et les faux.

À l’origine, le choix du groupe de travail (MSSS) d’utiliser le KN95 pour les interventions dentaires générant des aérosols à risque pour les personnes NON suspectées-confirmées ne visait pas l’étanchéité. Ainsi, le KN95 n’était pas utilisé comme APR, mais plutôt comme l’équivalent d’un masque de procédure.

Or, soit que les KN95 (standard chinois) ont un fort % d’échecs aux tests d’ajustements, soit qu’ils sont parfois douteux sur leur authenticité. Notamment la variabilité de plusieurs modèles quant à leur capacité de filtration, mesurée lors de différents tests en laboratoire. Cette grande variabilité dans les modèles de KN95 apporte des situations ambiguës sur le terrain avec la CNESST. Un autre point, la respirabilité, est présenté dans la section plus bas.

Ça ne veut pas dire qu’ils ne fonctionnent pas ou qu’ils ne protègent pas.  Ça veut dire qu’ils ne n’entrent pas dans le club des APR sans grincements de dents.  

Voilà pourquoi le KN95 a été retiré des recommandations.

Tout ce qui précède est une question RÈGLEMENTAIRE et de STANDARDISATION.

Ce que nous allons regarder maintenant c’est le point QUI NOUS INTÉRESSE VRAIMENT : 

La protection respiratoire pour l’équipe

dentaire en période de pandémie.

Vous vous doutez déjà que le masque de procédure n’est pas un APR au sens de la définition stricte.  Ils ne sont pas CLASSÉS comme des APR mais ça ne veut pas dire qu’ils ne protègent pas.  La réalité est que les masques de procédure sont protecteurs.

Il faut que je détaille un peu.

Laissons de côté l’ajustement et concentrons-nous sur la filtration.  Le N95 filtre 95% des particules de 0.3 microns (c’est beaucoup plus gros qu’un virus).  Son efficacité frise le 100% pour les particules plus petite encore ou plus grosses. Or, comme vous le savez, les virus sont toujours portés par des gouttelettes ou des particules, ils ne sont jamais seuls et rarement isolés.

Le nom N95 provient de son efficacité à retenir les particules les plus difficiles à filtrer (0.3 microns) = 95% d’efficacité. L’efficacité augmente pour les particules plus petites ou plus grosses.
Masque de procédure (chirurgical) à trois épaisseurs: Extérieur pour repousser les gouttelettes, milieu pour la filtration des particules et intérieur pour absorber l’humidité.

L’efficacité du masque de procédure est plus faible pour les fines particules.  Les masques de procédure ont 3 épaisseurs : la couche extérieure repousse les gouttelettes, la couche du milieu est le filtre et la couche intérieure absorbe l’humidité.  Ils ont été originellement conçus pour protéger contre les gouttelettes de sang ou de salive (toux et éternuements).

Le masque N95 surpasse le masque de procédure dans les tests de laboratoire contrôlés. Ces tests ne collent évidemment pas à la réalité du terrain. En laboratoire, on teste la physique de filtration, on ne teste pas la réduction en temps réel des infections respiratoires.  Ça ne serait pas éthique.

Structure du N95

Les études sont beaucoup moins claires sur la différence dans l’efficacité en situation réelle entre les deux masques.  Ils semblent être équivalents pour prévenir les infections respiratoires chez ceux qui les portent.

Ajoutons aux avantages du masque de procédures sur le KN95 que le premier a une meilleure « respirabilité » que les APR. La dynamique de l’air fait en sorte que l’air passe mieux où la résistance est moindre. Un KN95 mal ajusté risque de faire en sorte qu’une partie non négligeable de l’air inspirée passe autour du masque puisque le filtre du KN95 offre une grande résistance au passage de l’air. Le filtre du masque de procédure offre une résistance moindre; l’air aura moins d’incitatifs physique à contourner le filtre.

Il faut aussi mentionner que les N95 sont relativement inconfortable justement parce ce qu’ils filtres mieux et qu’ils sont ajustés. Cet inconfort a comme résultat que les N95 sont plus souvent manipulés pour réduire l’inconfort sur de longues périodes. Je sais par expérience que des utilisateurs ont volontairement laissé tomber ce masque à cause de l’inconfort.

Pourquoi est-ce que le N95 n’est plus recommandé en présence d’aérosols?

Pour toutes les raisons citées plus haut. Dans les situations où vous traitez des patients non à risque COVID, les chances d’avoir un patient qui passe entre les mailles du filet est inférieur à 1 pour 1000 (0.1%). De plus, 1- il ou elle sera asymptomatique, 2- vous utilisez un rince-bouche pré-procédure, 3- une digue, 4- la succion, 5- des lunettes ou une visière. 

La réduction du risque infectieux par une filtration est une question partiellement statistique: quelle est la concentration des particules infectieuses dans l’air? Il peut y avoir beaucoup de particules en suspension, mais s’il y a peu ou pas de particules infectieuses, les probabilités de recevoir une dose infectieuse passant à travers un masque de procédure sont très faibles. C’est, en outre, ce qu’indique la virtuelle absence d’éclosions documentées dans les cliniques dentaires.

Le masque de procédure apporte donc une protection adéquate.  Ce n’est pas un compromis sur la sécurité. J’étais d’accord dès le début avec un masque de niveau 3 ou un KN95; je suis toujours d’accord avec un masque de niveau 3, même si le KN95 n’est plus dans le décors. Évidemment si vous désirez porter un N95 c’est votre choix, vous pouvez en faire plus mais pas en faire moins mais vous ne pouvez porter un KN95 pour des questions règlementaires.

En espérant que ces quelques éléments vous permettront de mieux comprendre les changements dans le document du comité (MSSS).

Les illustrations ont été tirées de l’article:

A. Tcharkhtchi, N. Abbasnezhad, M. Zarbini Seydani, N. Zirak, S. Farzaneh, M. Shirinbayan. An overview of filtration efficiency through the masks: Mechanisms of the aerosols penetration. Bioactive Materials 6 (2021) 106–122.

Remerciements

Je me dois de remercier ma collègue Caroline Duchaine, titulaire de la chaire de recherche sur les bioaérosols. Nos discussions et ses commentaires me sont essentiels pour bien vous informer.