Jean Barbeau, microbiologiste, responsable de la prévention et du contrôle des infections, Faculté de médecine dentaire, Université de Montréal.
Toute est dans toute #1 Le brassage génétique dans les buissons préhistoriques;

Commençons par une petite histoire lubrique. Il y a environ 45,000 ans un Néandertalien et un humain moderne (Sapiens) se sont lancés dans un flirt qui fut pour le moins productif. À travers moult borborygmes et grognements plus ou moins chastes, ce qui fut une plaisante banalité, sans doute répétée, à cette époque fort lointaine, nous a peut-être conduit au couvre-feu actuel à cause de la COVID.
Je blague à peine. Mais je dois m’expliquer pour nous conduire éventuellement, main dans la main, à la vitamine D et aux vaccins, en passant par les soins intensifs.
En bref, le même brassage génétique qui assemble un enfant aujourd’hui (avec ses qualités et ses défauts), a eu lieu il y a des dizaines de milliers d’années pour construire la descendance de l’Homme de sapiens d’aujourd’hui : vous, moi, Donald Trump.
Environ 2% de notre génome est imprégné de quelques gènes typiquement Néandertaliens (et Denisoviens). Pourquoi seulement 2%? Parce qu’il y avait moins de néandertaliens il y a 45,000 ans que d’humains « modernes ». Les quelques amusements dans les buissons entre cousins-cousines ont été dilués par notre prolifique espèce au fil des millénaires. Or, dans ce 2% qui nous est resté, se trouvent des gènes qui auront un impact sur notre défense contre la COVID-19, 45,000 ans plus tard.
Je n’ai pas la place pour entrer dans les détails terriblement complexes qui demanderaient que je vous raconte une fort longue, quoique passionnante histoire. Mais, une partie de ces gènes peut nous prédisposer aux formes graves de la COVID, alors que d’autres, au nombre de trois, nous protègent des virus à ARN dont les coronavirus (entre autres). Mais les populations de l’Afrique subsaharienne n’ont pas les variants Néandertaliens de ces gènes. Pourquoi cette apparente iniquité? Parce que les Sapiens (nos ancêtres) avaient quitté l’Afrique il y a quelques 100,000 ans pour s’étendre un peu partout en Eurasie. L’Homme de Neandertal n’était pas en Afrique.
Certains pathogènes, qui n’étaient sans doute pas présents en Afrique, tourmentaient les Néandertaliens qui avaient acquit et sélectionné des gènes aptes à assurer leur défense. Nous en avons profité de la façon que vous connaissez maintenant.
Toute est dans toute #2 Une immunité à deux bras;
J’arrive maintenant au système immunitaire. Et je vais faire ça simple. Il y a grosso modo deux bras au système immunitaire : l’immunité innée et l’immunité adaptative. L’immunité innée agit dans les minutes ou les heures qui suivent une infection, l’immunité adaptative entre en jeu plusieurs jours plus tard (entre 1 à 3 semaines… environ). Vous seriez assis devant moi que ça me prendrait environ 90 heures pour entrer dans quelques détails jouissifs, et un baccalauréat entier serait nécessaire pour le « fine tuning » (dont une grande partie m’échappe, parce que « toute a beau être dans toute », on n’est pas expert en toute, qu’on se le tienne pour dit).
Mine de rien, je vous prépare à la vitamine D.
Plusieurs allèles (des variants de gènes) hérités de l’homme ou de la femme de Néandertal sont activement impliqués dans l’immunité innée. Or c’est l’immunité innée qui conduit bons nombres de patients COVID aux soins intensifs (en plus des dommages directs du virus). Et si cette immunité peut faire ces ravages, c’est que l’immunité acquise est absente. Or l’immunité acquise, ce sont les anticorps. Les anticorps arrivent un peu tard pour attaquer le virus, et comme il serait dramatique d’avoir à attendre deux semaines pour combattre une infection, il faut compter sur un système rapide et un peu moins raffiné, l’immunité innée.
Je vous prépare donc à la vaccination.
Toute est dans toute #3 L’immunité innée et ses dommages collatéraux;
Pour que l’immunité innée puisse fonctionner, il faut qu’elle sache (du verbe sachoir) reconnaître que le virus SARS-CoV-2 n’a pas sa place dans nos poumons. Il faut donc, en quelque sorte, tâter le virus. L’évolution nous a donc équipé de « tâteux » de virus, qu’on appelle des récepteurs, à la surface de cellules sentinelles spécialisées (macrophages, cellules dendritiques et autres). Quelques tâteux (de la famille des TLR) sont des legs des Néandertaliens (il y en a 3). Il y a aussi d’autres tâteux (aussi au nombre de 3 provenant aussi de nos cousins) qui sont capables de réagir aux virus ARN en passant par une magnifique substance appelée Interféron.
Tous ces joueurs, et plus encore, réagissent à l’infection COVIDienne. Le fait de tâter le virus déclenche des signaux de panique cellulaire. Il y a des dizaines de ces signaux, appelés des médiateurs ou, pour bien paraître, des cytokines (en anglais on parle de cytokine Storm). L’interféron a un rôle central dans la défense contre les virus, et cette molécule de défense doit arriver tôt dans l’infection. Elle participe à l’élaboration d’une fantastique cascade d’événements que vous ne voyez pas mais que vous ressentez (fièvre, fatigue, courbatures, perte d’appétit etc). Tout dépendant d’une foule d’autres facteurs (génétique, âge, quantité de virus etc.) et parfois du fait que l’interféron arrive trop tard, certaines personnes vont développer une réponse immunitaire innée carrément indécente et disproportionnée à l’infection. Ce n’est pas que le système immunitaire ne fonctionne pas assez, c’est qu’il s’emballe.
Vous êtes (j’espère que non) à l’urgence et vous passez une batterie des tests. Les résultats hématologiques détectent de hauts niveaux de certaines cytokines ou de cellules inflammatoires, on peut savoir que vous avez un risque d’aller séjourner aux soins intensifs. Quelles molécules, quelles cellules? C’est complexe mais voici une figure qui schématise la chose. C’est outrageusement simplifié.

En gros, une tempête inflammatoire peut se développer. Et cette tempête inflammatoire ouvre les écluses des vaisseaux sanguins qui déversent beaucoup de liquide dans les alvéoles pulmonaires. Et l’oxygène se noie sans parvenir à faire respirer vos cellules et votre corps. Puis d’autres cellules du système immunitaire s’amènent avec la bonne intention de vous défendre. Mais elles causent des embouteillages et des carambolages monstres qui empêchent le sang de circuler adéquatement et forment des caillots.
Voilà les dommages collatéraux de la nécessaire immunité innée dont une partie nous vient du Néandertalien. Heureusement, dans la grande majorité des cas de COVID on ne se rend pas à cette extrémité. C’est entre autre aussi, grâce à cette providentielle partie de jambes-en-l’air d’il y a 45,000 ans, hors de la savane africaine, qui nous a permis de mieux tâter les virus ARN.
Je me dois d’insister sur le fait que l‘immunité innée et l’inflammation sont nécessaires. Mais leur mise en action demande un sacré dosage: trop peu et les pathogènes en profitent, trop généreusement et ce sont vos tissus (et vous) qui en pâtissent. D’un côté comme de l’autre, une des conséquences de l’immunité innée est, qu’en endommageant les tissus pulmonaires pour débusquer le virus, elle crée des débris de cellules et de tissus auxquels les virus restent ancrés. Vous n’expulsez donc pas des virus isolés mais des gouttelettes, des aérosols et des particules de tailles variables mais beaucoup plus grosses qu’un virus isolé. Et vous devenez infectieux pour les autres de façon accessoire.
Ce qui m’amène à la vitamine D.
Toute est dans toute #4 La vitamine D et la fortification du système immunitaire;
On m’a régulièrement amené cette évidence à crever les yeux (elles le sont toutes) que nos très lointains ancêtres, pieds nus dans la savane, à manger des baies et boire de l’ambroisie en prenant des bains de soleil n’avaient pas besoin de vaccins.
Et c’est un peu là que la vitamine D fait sont entrée dans toute cette histoire. Est-ce que la vitamine D fortifie le système immunitaire? La question est légitime et sérieuse et n’est pas dépourvue de bases scientifiques. Des recherches ont donc été faites en lien avec la COVID. Les résultats ne sont pas très concluants (voir ici l’excellent article de Jean-François Cliche du Soleil). En bref, la vitamine D ne va peut-être pas nuire, mais elle ne va peut-être pas aider non plus. L’immunologiste en moi pose des questions : quel bras de la réponse immunitaire voulez-vous fortifier (si c’est possible)?. Voulez-vous stimuler l’immunité innée? et, si oui, comment, quelle partie? N’est-elle pas déjà assez forte? Voulez-vous stimuler l’interféron? Que mesure-t-on dans les essais avec la vitamine D? Voulez-vous alternativement stimuler l’immunité acquise? La production d’anticorps?
Or, pour plusieurs personne l’idée est simple : il s’agit de stimuler globalement le système immunitaire! Bon. Or, c’est tout sauf simple, ni même suffisant par ailleurs. Évidemment, avoir des habitudes saines, bien s’alimenter et éviter le stress chronique ne peut pas nuire au système immunitaire pour combattre les infections. Mais fortifier activement le système immunitaire met en jeu des concepts qu’on ne peut ramener simplement à notre passé préhistorique dépourvu d’aliments transformés.
En fait, fortifier notre système immunitaire passe plus sûrement par son éducation. Et cette éducation découle de notre expérience immunitaire et infectieuse. À chaque défi venant de l’infiniment petit (virus ou bactérie) notre système immunitaire ajoute dans son grand baluchon la mémoire des agents infectieux qui se sont montrés la tête. Que cette mémoire viennent d’une infection naturelle (vécue de façon obligée par nos ancêtres) ou d’un vaccin, le résultat est globalement le même: une mémoire se forme (plus ou moins durable) et notre système gagne en expérience et en effectifs (cellules immunitaires). Globalement, notre système immunitaire ne fait pas de différences entre un morceau de virus et un virus entier et réel: sa réaction est la même.
Or pour boucler la grande boucle, l’immunité innée est dépourvue de mémoire: c’est une réponse « instinctive » déjà prête. Cette immunité nous vient du fond des âges géologiques et précède l’apparition de l’immunité acquise et des anticorps seulement présents chez les vertébrés. L’immunité innée est efficace, mais elle peut mal réagir. Si, pour le virus de la COVID, cette immunité a mal réagit une fois, elle peut mal réagir deux fois. C’est pourquoi l’immunité acquise (les anticorps) est non seulement importante, mais essentielle. Lorsque le virus reviendra, l’immunité innée ne sera pas laissée à elle-même comme la première fois où on s’est fait prendre. Rapidement les anticorps vont pouvoir inactiver le virus ou, du moins en réduire le nombre. En réduisant la charge virale, l’immunité acquise a beaucoup moins de risque de s’emballer comme c’est parfois le cas dans les formes sévères. C’est, entre autres, pour cette raison que les vaccins actuels ont montré une impressionnante efficacité (même avec une seule dose) pour prévenir les formes graves de la maladie, les hospitalisations et les décès.
Portez-vous bien!
Références:
2- A genomic region associated with protection against severe COVID-19 is inherited from Neandertals
3- Cytokine storm and COVID-19: a chronicle of pro-inflammatory cytokines
4- Jean-François Cliche. COVID-19 : la vitamine D peut-elle aider?