
C’est une grande présomption de notre temps que de plastronner sur notre niveau de préparation contre les assauts des épidémies. De toute évidence, les primates évolués que nous sommes apprennent beaucoup, mais retiennent peu. L’Histoire dégouline pourtant d’exemples de ce qu’une épidémie peut faire de notre arrogance et de nos certitudes. SIDA, SRAS, H1N1. Ebolavirus vient de nous flanquer au visage un retentissant soufflet… et que faisons-nous? Nous tendons l’autre joue.
Il suffit de regarder ce qui se passe sur cette planète, parfois étrange, qu’est l’Amérique pour s’en convaincre. Tout en restant confortablement assis à nous empiffrer de Nouvelles éclairs.
Quand Ebolavirus revêtait les habits folkloriques de cette autre planète qu’est l’Afrique, nous poussions quelques vagues commentaires, haussions un sourcil en dodelinant de la tête de façon condescendante, mais nous retournions à nos préoccupations quotidiennes. Nous étions, croyions-nous, à des années-lumière de la Guinée, du Libéria et de la Sierra Leone.
Les plaques tectoniques ont beau avoir bougé, l’Afrique est chez votre voisin quand un virus mortel se déplace à 800Km/hr au-dessus de l’Atlantique.
L’Amérique vient de s’en rendre compte. Et cette Amérique pas si profonde se croit maintenant sur un petit navire que la pestilence et ses ténèbres viennent d’aborder en s’insinuant dans la moindre fissure. Et l’Homo sapiens moyen veut maintenant colmater chaque centimètre carré de la coque avec la fine pointe des matériaux issus de l’Ère spatiale. Comme si ce colmatage allait l’immuniser contre sa propre nature. Comme si le fait d’avoir bouché tous les trous allait le protéger contre cette autre infection, encore plus sournoise et dommageable, que sont l’ignorance et sa progéniture, j’ai nommé la déraison et la panique et leur inévitable conséquence: le sauve-qui-peut.
Bouclez les frontières, fermez les écoles, lancez les coupables à la mer!
Pour trois cas au Texas, on a peinturé quelques 800 personnes avec la marque de l’infamie, et il s’en trouve certains pour penser qu’on ne ratisse pas assez large. Des directions d’école ont décidé, précaution oblige, de fermer des écoles parce que des enfants ou des enseignants avaient voyagé dans le même avion que l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours. Une institutrice d’une école élémentaire du Maine est placée en congé forcé pour trois semaines pour avoir assisté à une conférence à Dallas. Un conférencier voit sa conférence annulée à New York parce qu’il était au Libéria (il y a plus de 21 jours). Voir l’article: Le Nouvel Observateur. Et l’article de CNN.
Voilà la vraie nature de la bête qui carbure au colmatage de l’Ère spatiale… Voilà aussi comment on nourrit la panique, cette entité déjà amplement grasse, qui ne demande qu’à être gavée encore et encore et à gouverner le navire dont le gouvernail est de guingois. Certains en profitent pour souffler sur les braises de la géhenne que, sûrement, nous méritons, d’autres pour étaler les ficelles d’une soi-disant odieuse conspiration. Voir l’excellent texte de David Brooks «The Quality of Fear: What the Ebola Crisis Reveals About Culture» dans le New York Times.
Il suffit de parcourir un livre sur la Peste Noire qui a décimé l’Europe au Moyen-Âge, de lire sur les épidémies de fièvre typhoïde, de choléra ou de variole pour constater le pouls affolé et les mains moites de notre humanité face à la contagion. Dépouillé de ses vêtements griffés, échevelé et incapable de puiser une source de réconfort dans l’immense quantité d’informations dont son crâne dispose, l’Homme du XXIe siècle est sur un pied d’égalité avec son cousin qui fuyait la peste et la colère de Dieu dans les rues nauséabondes du XIVe siècle.
La raison doit prendre fermement le gouvernail en main
Il ne faut pas minimiser l’épidémie d’Ebola; le virus est redoutable, nous le connaissons encore peu et il fait des ravages bien réels en Afrique. Contenir l’épidémie est donc prioritaire… et possible. Le Sénégal et le Nigéria ont pu bouter le virus hors de leurs frontières après avoir composé avec des dizaines de cas, et avec des moyens modestes et sans commune mesure avec ce qui est actuellement déployé en Amérique du Nord ou en Europe.
L’infirmière espagnole est libérée de l’étreinte d’Ebolavirus de même que Nina Pham la première des deux infirmières américaines qui ont traité Thomas Eric Duncan (malheureusement décédé le 8 octobre). L’autre, Amber Vinson, est dans un état satisfaisant. Aucun des contacts directs, dont la conjointe de M. Duncan, n’a contracté le virus. Et comment dire? ils étaient diablement plus en étroite communion avec l’Ebola que les 800 passagers des avions qui ont été cloués au sol. Je ne dis pas que l’on doive autoriser les personnes potentiellement porteuses du virus à lécher les sièges des avions, mais force est de constater que le virus ne se transmet pas aussi facilement que certains le pensent. Avec un temps d’incubation parfois aussi court que 2 jours (maximum de 21 jours), si Ebolavirus était si efficace, nous aurions ici des dizaines, voire des centaines de cas présentement. Nous en avons huit dont cinq qui proviennent des pays affectés et trois qui ont été infectés en cette terre d’Amérique.
Il convient donc d’être hautement vigilant, mais de ramener la raison à bon port. Les trois cas nord-américains découlent d’un contact étroit et sans doute prolongé avec des fluides biologiques (sang, vomissures ou autres) qui étaient probablement densément contaminés par des particules virales.
Ce ne sera pas la norme pour l’Homme de la rue.
Être prêts
J’ai peu de doute sur le fait que techniquement nous soyons prêts pour faire face au virus. Gants, masques, uniformes, désinfectants et tutti quanti, tout est là. Encore faut-il bien les utiliser. Mais, encore là, j’ai peu de crainte: on n’aura pas à résoudre un Rubik Cube à chaque fois. Des manquements sont toujours possibles; le risque zéro est une utopie. Notre indécrottable obsession de la sécurité nous fait trop souvent oublier notre nature humaine dans un monde qui ne sera, heureusement, jamais parfait.
Nos professionnels de la santé ont toutes les compétences requises. La crainte et l’instinct de conservation joueront certainement, comme ils ont joué dans les années 80 et 90 avec le SIDA, mais nos professionnels sauront harnacher cette crainte. Il est possible que certains se lanceront dans les canots de sauvetage. Gardons-nous de leur lancer des cailloux; il pourrait s’agir de notre reflet dans un miroir.
Mon questionnement sur notre niveau de préparation concerne surtout ce qui gravitera autour de cas d’Ebola hypothétiques en dehors des hôpitaux désignés au Québec. Comment saurons-nous gérer l’environnement social et les paradigmes émotifs? Quel sera l’étendue de notre tolérance au risque comme société: le plus petit dénominateur commun? Quel sera notre comportement dans un navire hébergeant une contagion dans sa cale? Ce genre de question échappe à tout niveau de préparation réelle, les matériaux de colmatage physiques n’ont pas de prise sur la peur et l’inconnu. Mais la raison, l’examen des faits réels, l’information juste peuvent empêcher une société de verser dans les excès que nous voyons présentement chez nos voisins du Sud.
Nous sommes heureusement à court d’un premier cas pour savoir jusqu’à quel point le virus pourrait déculotter notre confort, mais nous avons quelques indices en provenance d’un passé pas si lointain. Passé que nous avons commodément oublié.
Il est consternant, après avoir ouvert notre œil embué, de constater qu’une fois une crise passée, on a remisé le plan de préparation dans la filière ronde sous le bureau, laissé s’empoussiérer les équipements et qu’on s’est endormi sur ses enseignements. Parions qu’une fois Ebola retourné sagement en Afrique il se trouvera moins de monde pour s’étonner et s’inquiéter de l’absence de traitements ou d’un vaccin.
Et à la prochaine gifle venant de l’infiniment petit… nous tendrons, à nouveau, l’autre joue.
Ainsi, sommes-nous faits…
Jean Barbeau
microbiologiste